L’article publié le 8 janvier 2025 dans la très renommée revue scientifique Nature marque l’aboutissement de vingt années d’évaluation de la faune d’eau douce à l’échelle planétaire, par mille experts spécialistes de ces espèces animales. Sur les 23 496 espèces étudiées, 24 % sont considérés « à haut risque d’extinction ».

89 espèces sont par ailleurs déclarées éteintes depuis 1500, et 178 autres sont suspectées de l’être, selon les catégories et critères de la Liste rouge de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN). Pour les auteurs de l’étude, « il est urgent d’agir pour empêcher de nouveaux déclins et pertes d’espèces ».

Les tétrapodes d’eau douce (crabes, écrevisses, crevettes) sont proportionnellement les plus touchés, avec 30 % des espèces en risque élevé d’extinction. Pour ces espèces, les auteurs relèvent deux menaces prédominantes, « toutes deux liées à la perte d’habitat, l’agriculture étant considérée comme affectant 74 % des espèces menacées et l’exploitation forestière comme affectant 49 % des espèces menacées ».

Plusieurs menaces

Le risque élevé d’extinction concerne aussi 26 % des espèces de poissons d’eau douce, 23 % des tétrapodes d’eau douce (grenouilles, salamandres, reptiles, oiseaux…) et 14 % des odonates (libellules). Pour ces trois catégories, « 54 % des espèces menacées sont considérées comme affectées par la pollution, 39 % par les barrages et l’extraction d’eau, 37 % par le changement d’affectation des terres et les effets associés de l’agriculture, et 28 % par les espèces envahissantes et les maladies », souligne l’étude.

La plupart des espèces sont ainsi concernées par plus d’une menace. S’agissant de l’agriculture, toutes les formes sont ici englobées, de l’agriculture « de subsistance » à l’agriculture « agro-industrielle », à l’exclusion de l’aquaculture. Les auteurs précisent en outre que « les menaces de pollution et d’agriculture sont fortement liées ».

L’étude note « sans surprise » que les zones humides intérieures naturelles sont « des habitats clés des espèces animales d’eau douce ». Or, 35 % d’entre elles ont disparu à l’échelle planétaire entre 1970 et 2015, « à un rythme trois fois plus rapide que celui des forêts », situent les auteurs. De plus, « parmi les habitats humides restants, 65 % sont soumis à des niveaux de menace modérés à élevés et 37 % des rivières de plus de mille kilomètres ne coulent plus librement sur toute leur longueur ».

« Le déclin des espèces d’eau douce se poursuit, généralement hors de vue et hors de l’esprit, malgré l’importance de ces espèces », regrettent les auteurs de l’étude. Les eaux douces abritent plus de 10 % de toutes les espèces connues alors qu’elles ne couvrent que moins de 1 % de la surface de la Terre. Cette diversité des espèces d’eau douce fournit des services écologiques essentiels « tels que le cycle des nutriments, la lutte contre les inondations et l’atténuation du changement climatique », et « soutient la culture, l’économie et les moyens de subsistance de milliards de personnes ».

L’eutrophisation n’est pas un critère pertinent

« La production de données et d’évaluations mondiales pour les poissons et les invertébrés d’eau douce a reçu relativement peu d’investissement, de volonté politique ou d’attention », déplorent les auteurs. Une méconnaissance qui explique sans doute le manque de pertinence des critères utilisés aujourd’hui dans les décisions de conservation et de gestion des systèmes d’eau douce.

L’étude permet en effet de révéler que les indicateurs non biologiques tels que le stress hydrique ou l’eutrophisation (enrichissement en nutriments du milieu) ne sont absolument pas pertinents vis-à-vis des espèces d’eau douce menacées. « Les stratégies de conservation qui s’appuient sur des indicateurs abiotiques, représentant la quantité et la qualité de l’eau, devraient être réévaluées », poursuivent-ils.

L’analyse publiée dans Nature révèle pour la première fois que les tétrapodes en danger sont de bien meilleurs révélateurs de la menace d’extinction qui pèse sur l’ensemble des espèces d’eau douce : « Nos résultats suggèrent que la fixation d’objectifs autour de la nature non vivante ne suffira pas à protéger et à conserver la nature vivante et pourrait être néfaste en termes de coût, d’opportunité et de déplacement des menaces vers des endroits plus importants pour la biodiversité. »

Entre autres suggestions, les auteurs préconisent des changements de pratiques de gestion de l’eau à l’échelle des bassins-versants qui prennent mieux en compte la biodiversité. « Bien que l’agriculture et les espèces envahissantes soient considérées comme des menaces majeures pour les espèces d’eau douce et les tétrapodes, certaines menaces sont plus répandues pour les espèces d’eau douce, notamment la pollution, les barrages et l’extraction d’eau, et nécessitent donc des actions ciblées en réponse », avancent-ils.