«Nous débattons du bien-être animal depuis les années 1990 avec des experts. Depuis 2013, nous avons dû quitter le milieu des seuls spécialistes pour aller dans la sphère médiatique. »
Vision simpliste
François-Régis Huet, producteur de porcs dans le Morbihan, est le représentant des éleveurs au sein de la FNP et de l’interprofession pour le bien-être animal. « Tout le monde aujourd’hui a un avis sur la question. Nous ne discutons pas avec les abolitionnistes qui veulent notre mort. Nous écoutons les autres associations, même si c’est parfois difficile. Nous rectifions aussi des visions simplistes sur les méthodes à abandonner ou à adopter. On veut bien bouger mais, derrière, il y a une économie, une rentabilité de l’élevage à atteindre. »
Yves-Marie Beaudet, aviculteur dans les Côtes-d’Armor, ne dit pas autre chose. Il produit des œufs bio, des œufs de plein air et des œufs de poules en cage. Au sein du CNPO (Comité national pour la promotion de l’œuf), il se préoccupe de la question du bien-être animal. « Nous rencontrons régulièrement les associations welfaristes. Nous nous étions mis d’accord sur la production de 50 % des œufs avec des poules en plein air à l’horizon 2030 (1). Aujourd’hui, GMS et associations parlent de 2025, voire de 2020. Cela signifie changer le mode d’élevage de 9 millions de poules en cage et nécessitera 3 600 ha de plus (19 000 ha si toutes les poules sont au sol), ainsi que 350 millions d’euros d’investissement, alors que la mise aux normes achevée en 2012 n’est pas amortie. Il y a six ans, les GMS se satisfaisaient du respect des normes européennes. Si les poules vont dehors, que se passe-t-il en cas de grippe aviaire ? »
Selon lui, les GMS craignent les incidents sanitaires, les salmonelles. Elles veulent se racheter une virginité en éliminant les œufs de cage. « D’accord, mais qu’ils intègrent dans leur logiciel la revalorisation des prix ! Les acheteurs ne parlent que de prix bas dans les négociations. Nous avons demandé aux GMS de prélever 3 centimes par œuf pour permettre la reconversion, soit 100 millions répartis sur cinq ans. Pour l’instant, seul Lidl a répondu « oui » si les autres le font. »
François-Régis Huet combat aussi les idées reçues : « La fin de la castration des porcelets exigée par les associations n’est pas un problème pour les éleveurs. Mais les marchés potentiels de porcs non castrés ne dépassent pas 20 %. Sur la coupe des queues, il n’y a pas de solution miracle : la mise à disposition de matériaux souples pour éviter les morsures ne résout pas tout. Quant à offrir une zone d’exercice extérieure, je n’en suis pas convaincu. Les animaux vont toujours là où c’est confortable pour dormir. Et ils établissent leur zone de déjection en zone froide. S’ils choisissent la courette, comment fera-t-on pour la propreté ? »
Parler de la mort
Ces éleveurs en sont persuadés : expliquer va plus que jamais faire partie du métier. C’est ce que pratique Christine Vazeille qui, avec trois associés, élève 70 montbéliardes sur 105 ha en Haute-Loire. « Depuis mon installation, j’ai toujours eu des relations avec les gens de l’extérieur. Nous étions ferme d’accueil. Très vite, nous avons eu des questions sur notre lait. Le bien-être animal est une composante de notre métier. Les visiteurs ont souvent une image bucolique des fermes mais ils sont capables de comprendre la réalité. J’ai participé à des groupes de réflexion avec les interprofessions, en particulier le Cniel (Centre national interprofessionnel de l’économie laitière). Nous rencontrons des experts, des éthologues (2). Nous avons repris le dialogue avec le public en expliquant pourquoi il y a de l’élevage, quelles sont ses racines. Et nous parlons de l’acte de la mort, qui est l’étape ultime de l’élevage. Nous élevons bien nos animaux. En fin de carrière, dans les meilleures conditions possibles, ils s’en vont à l’abattoir. Nous ne les accompagnons pas mais on sait comment cela se passe. Alors que nous avons davantage de mal à vivre de notre métier, nous sommes de plus en plus attaqués. On nous dit que l’homme n’est pas fait pour boire du lait. C’est la remise en cause de notre culture alimentaire. Produire du lait n’est pas immoral. Je respecte ceux qui n’en boivent plus. Qu’ils me respectent aussi. »
Concernant les vidéos diffusées sur internet, Christine Vazeilles pense que « ce n’est pas fait comme il le faudrait mais ce n’est pas une généralité. Ces images ne sont pas la réalité. Avons-nous assez médiatisé les efforts faits sur le bien-être animal depuis des années ? « François Régis Huet poursuit : « Ces vidéos sont indispensables aux associations pour faire du buzz et non pas pour la défense du bien-être animal. Sinon, ils interviendraient immédiatement et pas six mois plus tard. Ce n’est jamais joli la mise à mort. Mais, autrefois, ce n’était pas mieux. » Lui qui travaille avec les associations welfaristes s’interroge : « Une association qui travaillerait vraiment avec les éleveurs aurait-elle des dons ? Yves-Marie Beaudet conclut : « Chaque élevage doit être visitable par les autorités sanitaires. Mais laisser pénétrer des inconnus soulève un tas de questions. Et notamment un problème sanitaire ! »
(1) En France, 69 % des élevages de poules sont sur cage, 7 % au sol et 24 % en plein air.
(2) Spécialiste de l’étude scientifique des comportements des espèces animales.