Associer deux cultures dans une parcelle, le concept est loin d’être nouveau. Semer une culture d’été dans une céréale d’hiver immature pour assurer deux récoltes la même année est une pratique déjà moins connue. C’est le principe du relay-cropping (ou culture en relais), où deux cultures partagent une partie de leur cycle de développement ainsi que leurs ressources : luminosité, nutriments et eau. à l’essai depuis 2016 chez Arvalis, cette technique nécessite un travail de réflexion en amont, tant sur l’anticipation de l’itinéraire technique que l’adaptation du matériel.
Savoir anticiper
Si le relay-cropping partage le même objectif qu’une double culture « classique », ces deux approches sont différentes. « En double culture, le semis de la seconde intervient après la moisson de la première, tandis qu’en relay-cropping, la culture relais est semée à date normale dans la céréale d’hiver déjà en place. Cela engendre une concurrence qui n’existe pas en double culture », explique Damien Brun, ingénieur Arvalis, qui a suivi les essais mis en place à la station du Magneraud, en Charente-Maritime. « Le système en relay-cropping est plus délicat à mettre en œuvre que la double culture. Dès le semis de la céréale, il faut anticiper les contraintes techniques et réfléchir à l’architecture du dispositif en fonction du matériel disponible », poursuit Damien Brun.
Les associations orge d’hiver - soja et orge d’hiver - sorgho ont été testées. L’orge est semée en novembre en laissant des bandes nues : des rangs semés succèdent à des rangs bouchés sur le semoir à céréales. Voie du tracteur, largeur des pneumatiques, écartement des rangs libres sont autant d’éléments à prendre en compte afin de ne pas écraser la céréale lors du semis de la culture relais. Celui-ci s’effectue fin avril au semoir monograine, modifié pour l’occasion. « Pour ne pas abîmer la céréale, il faut rouler sur les bandes laissées nues et semer derrière. Ce qui implique de déplacer l’attelage ou les éléments semeurs afin qu’ils se trouvent derrière les roues du tracteur », ajoute l’ingénieur. La moisson est une autre étape délicate. Là encore, les roues de la moissonneuse doivent s’adapter à la largeur des rangs. « De plus, il faut faire attention à ne pas couper la tête du soja ou du sorgho lors de la récolte de la céréale. C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour de l’orge et non du blé. L’orge se ramasse plus tôt, et la culture d’été n’a pas le même niveau de développement. Nous avons aussi utilisé les équipements de la société Flexxifinger, des patins en plastique, qui permettent de rabattre la culture relais et de la protéger. Cela fonctionne lorsque la tige est flexible mais pourrait poser un problème avec des cultures aux tiges plus rigides. »
L’eau, facteur limitant
Comparé à la double culture, le relay-cropping présente l’avantage, pour la culture d’été, de bénéficier d’un cycle plus long, mais qui entre en compétition avec une céréale bien développée. « La première année d’essai, nous nous sommes fait surprendre par du stress hydrique à la fin du printemps. Les symptômes sont devenus visibles sur le soja quelques jours avant la récolte de l’orge. Aussi, il n’était plus question d’irriguer », rapporte Damien Brun. Le soja en a beaucoup souffert.
« La période de cohabitation des deux cultures est délicate car il est difficile d’intervenir. Nous l’avons appris à nos dépens. » L’irrigation précoce est donc à privilégier en relay-cropping : le soja en a profité l’année suivante et se présentait mieux. « Malheureusement, nous avons rencontré des soucis de ravageurs, si bien que le rendement n’a pas exprimé le potentiel de la modalité. »
Autre point technique à surveiller : le programme de désherbage de l’orge. Il pose parfois un problème pour la culture d’été. « Il faut faire attention à la rémanence des herbicides appliqués sur les céréales. Du travail mécanique peut être envisagé sur les bandes laissées nues mais, là encore, avec précaution. En période de chaleur les adventices se dessèchent, tout comme les premiers centimètres du sol, ce qui peut impacter l’implantation de la culture relais. »
L’ingénieur appelle aussi à faire preuve de vigilance quant aux fongicides utilisés sur céréales, en lien avec le respect des usages et de la limite maximale de résidus définie par la réglementation. « L’homologation concerne les céréales, pas le soja. En orge d’hiver, la dernière intervention a lieu avant le semis de la culture relais. La question ne se pose pas. En revanche, ce ne serait pas le cas pour du blé. Ces aspects font également partie de la réflexion sur le couple culture d’hiver - culture de printemps. »
Un manque de recul
L’an dernier, le soja s’est bien implanté et n’a nécessité aucun désherbage. Ce sont autant de charges en moins sur la culture d’été. « Les résultats ne s’arrêtent pas au rendement. Le calcul se fait sur l’ensemble de l’itinéraire technique, explique Damien Brun. Aujourd’hui, nous ne maîtrisons pas tout. Nous avons fait face à des aléas divers, mais nous acquérons de l’expérience. » En deuxième année d’essai, à la récolte 2018, les rendements du sorgho en relay-cropping étaient moins élevés qu’en culture seule, mais plus qu’en modalité double culture. Des résultats qui devront être confirmés par les autres essais en cours en Alsace, en Bourgogne ou à Lyon (Rhône). Ils apporteront un recul pour l’instant manquant.
De nombreuses associations en relay-cropping restent à imaginer, « en veillant à s’adapter aux conditions pédoclimatiques ainsi qu’aux marchés locaux », conclut Damien Brun.
Justine Papin