« Quand on commence à m’expliquer ce que je dois faire chez moi, cela ne me met pas dans de bonnes dispositions. Mes voisins m’ont demandé de déplacer l’entrée de la ferme ! » Le député Pascal Lavergne (Renaissance) se souvient de son installation à Montségur, en Ariège. « Il y avait des animaux dans cette ferme depuis au moins trente ans. Mais avant mon arrivée, l’exploitation avait été vendue à la découpe. La maison avait été rachetée pour servir de résidence secondaire, le reste de l’espace était occupé par un éleveur qui, sur le point de partir à la retraite, avait réduit son activité ».

Pascal Lavergne s’installe en 2008, tout se passe bien « jusqu’à l’arrivée des balles enrubannées dans la cour », puis d’une conduite de troupeau différente de son prédécesseur. « Mes voisins l’ont mal vécu ».  Alors qu’il décide d’aménager un ancien bâtiment en salle de tétée pour ses veaux de lait et de changer de place ses bovins « en attendant que ma stabulation soit terminée », ceux-ci entament une procédure judiciaire. « Il y a toujours eu des bovins ici. Tous mes aménagements sont conformes. Pourtant, j’ai perdu au tribunal. Je l’ai mal vécu, j’ai arrêté la production de veau de lait. »

Un débat ouvert

Lorsque le député de la Lozère, Pierre Morel-à-l’Huissier a présenté sa proposition de loi visant à reconnaître la spécificité de certains « bruits et effluves » des campagnes françaises ainsi qu’à les exclure de la notion de troubles normaux du voisinage, l’idée de voir ce type de contentieux disparaître, a germé. Mais les discussions qui ont suivi dans l’hémicycle ont aussitôt douché les espoirs, tout comme l’avis du Conseil d’État du 16 janvier 2020.

L’institution soulignait en effet que l’état actuel du droit, en matière de trouble du voisinage, « permettait d’ores et déjà d’assurer une protection équilibrée des intérêts en présence ». Le texte du Lozérien a toutefois été promulgué le 29 janvier 2021, après avoir été corrigé. Il instaure au final le patrimoine sensoriel des campagnes, dont il reste à définir le contenu (lire encadré). La loi a aussi donné lieu à la remise d’un rapport de gouvernement au parlement sur « la possibilité d’introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal du voisinage ».

Des intentions à transformer

Rendu public en février 2022, ce rapport reprend les pistes formulées par le conseil d’État. Il souligne notamment la pertinence d’une modification de l’article L.113-8 du code de la construction. Ce texte empêche les riverains de demander réparation des nuisances causées par des activités agricoles, dès lors que celles-ci existaient avant leur installation. Toutefois, ces activités doivent se poursuivre « dans les mêmes conditions ».

Le Conseil d’État propose de remplacer ce dernier paramètre par « sans changer de nature », afin d’étendre « l’exception d’antériorité à tous les cas d’augmentation de l’activité, sous réserve qu’ils ne soient pas disproportionnés ». Parmi « les pistes de réflexion à expertiser », le gouvernement retient aussi celle de codifier la responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage qui pourrait intervenir via une réforme du code civil.

Mais ces intentions n’ont à ce jour pas été concrétisées. Et les juges, en attendant, ne sont pas tenus, comme précisé dans la décision de la cour d’appel d’Amiens de mars dernier, « d’attendre avant de statuer une évolution de la législation (…) sur la base de ce rapport, évolution au demeurant hypothétique tant en son contenu que s’agissant de son délai d’entrée »,

« Sécuriser les récoltes »

« Ce n’est pas en emmerdant les agriculteurs qu’on va y arriver, reprend le député Pascal Lavergne. Comment produire sans odeur, sans bruit, sans tracteur ? Tout cela doit être pris en compte par le juge. Pour atteindre la souveraineté alimentaire, il faut des règles. Même chose concernant les enjeux autour du partage de l’eau : les récoltes doivent être sécurisées ».

En janvier 2020, le Conseil d’État a reconnu en matière de troubles anormaux du voisinage que « le sujet traité, à première vue anodin, recouvre en réalité des questions profondes, touchant tant à l’identité française ainsi qu’au vivre ensemble ». Les remises en cause de l’activité agricole dans les espaces ruraux et périurbains ont aussi des incidences sur le renouvellement des générations. Les tensions sont parfois si fortes que certains quittent le métier, voire renoncent à s’installer.