« Jamais je n’ai pensé qu’en devenant agricultrice, je devrais avoir un avocat. » En six ans, l’éleveuse Nicoline Pauliout a fait l’objet de huit plaintes, toutes ont été classées sans suite. Les bruits et les odeurs de la ferme, un brin de paille sur la route…, tout est bon pour récriminer. Au cœur de la zizanie avec ses voisins, se dresse un bâtiment agricole. L’éleveuse a racheté une ferme à Champsac, en Haute-Vienne, en 2016.
« C’était un bâtiment un peu abandonné. Quand je suis arrivée, le site était devenu industriel, mais à la base, il était bien agricole. Nous avons eu la chance de pouvoir le « ramener » en espace agricole ». Les ennuis ont alors commencé avec les voisins : passage de l’huissier, tests sonores, convocation au tribunal…
Et le malaise s’est installé : « À un moment donné, je ne me sentais pas bien à la maison. J’avais le sentiment d’être observée en continu ». Les tentatives de dialogue ont échoué : « J’essaie de comprendre… Mais comment peut-on penser que tout ce qui nous entoure, nous appartient ? Je fais mon boulot. Je ne sais pas comment j’aurais pu éviter cela ».
Expliquer le métier
Le cas de Nicoline Pauliout a convaincu la chambre d’agriculture de Haute-Vienne de publier, en décembre 2021, un «guide de bon voisinage. « […] Bruits, poussières, odeurs, présence d'insectes, passage d'engins agricoles, traitements phytosanitaires, épandage d'effluents d'élevage... L'expérience montre que les conflits de voisinages liés à ces aspects, obligatoirement générés par les activités agricoles, se multiplient.
Ils sont difficiles à gérer et entravent l'exercice des activités agricoles et leur pérennité », prévient l’organisme. À destination des élus locaux et des citoyens, le document vise à faire comprendre les métiers de l’agriculture et à faciliter le dialogue. Il est également transmis aux notaires et aux agences immobilières « pour informer les nouveaux acquéreurs des contraintes liées aux activités agricoles se situant à proximité de leur habitation ». Une carte des producteurs locaux y est aussi proposée, en plus des travaux par saison.
Trouver des médiateurs
Face à la recrudescence des altercations entre voisins, la mairie de Champsac a dû s’adjoindre les services d’un avocat. À Meslay-du-Maine, le maire Christian Boulay est lui-même amené à jouer de plus en plus les conciliateurs. « Je suis très souvent confronté à des problèmes de voisinage. Les conflits surviennent pour des choses relatives : des tailles de haies qui ne sont pas faites, des chiens qui aboient...
J’ai très peu de souci mettant en cause le monde agricole ». Une unité de méthanisation a vu le jour sans susciter de contentieux, sur le territoire. « J’étais élu à l’époque, je ne connaissais rien à cette énergie. L’équipe municipale s’y est intéressée. Nous voulions d’abord comprendre le sujet, puis on a accompagné les agriculteurs. On a facilité les mises en relation ».
Sensibiliser les nouveaux arrivants
Dans la commune de Beaumont-de- Lomagne, située à une cinquantaine de kilomètres de Toulouse, les conflits de voisinage se sont multipliés avec l’arrivée de nouveaux habitants venus le plus souvent de la ville. En 2019, la municipalité a ainsi fait installer des panneaux en bord de route, pour faire connaître les bruits et les activités de la campagne.
La commune de Bolazec, dans le Finistère, a pris la même option en décembre 2020. Mais le ton tranchant du discours a créé la controverse et divisé les habitants. « Si vous ne supportez pas cette campagne-là, avec ses bruits et ses odeurs, vous n’êtes pas au bon endroit ! ».
Associer les voisins
Dans le département de la Dordogne, « nous avons organisé des rencontres dans toutes les communautés de communes, avec la FNSEA et JA, se souvient Jean-Philippe Granger, président de la chambre d’agriculture du département. Nous avons construit avec les élus et les citoyens une charte de bon voisinage incluant les traitements et le savoir-vivre ensemble.
Validé en préfecture, le document a été rendu caduque par le conseil d’État qui estimait qu’elle n’allait pas assez loin. Au final, on va moins loin que ce qu’imposait la charte ». Pour Éric Forgeneuf, éleveur et maire de Saint-Estèphe, en Gironde, le dialogue et une charte de bon voisinage peuvent éviter les contentieux. Mais il faut une loi, estime-t-il, car celui qui ne signe pas la charte peut toujours s’y opposer.