L’expérimentation a été conduite avec des veaux nés à l’automne et vendus en juin. Âgés de neuf mois, ils affichaient autour de 380-400 kg de poids vif. La croissance sous la mère visée était de 1 300 à 1 400 g par jour. La complémentation a été apportée sous forme d’un mash. En bâtiment, celui-ci était composé d’orge aplatie (50 %), de pulpes de betteraves déshydratées (25 %), de tourteau de colza (23,50 %) et d’aliments minéraux et vitaminiques (AMV) (1,50 %). Au pré, il était constitué de pulpes de betteraves déshydratées (48,50 %), d’orge aplatie (50 %) et d’AMV (1,50 %).
Dans un premier temps, entre 2015 et 2021, les ingénieurs de Jalogny ont comparé les niveaux de croissance des broutards nés à l’automne avec deux niveaux de complémentation en bâtiment : haute (1,5 kg par 100 kg de poids vif) et basse (1 kg). Deux lots d’une douzaine de couples mères-veaux avaient été constitués. L’écart de poids vif supérieur observé en fin d’hiver sur le lot le plus complémenté, avait disparu au sevrage après trois mois de pâturage sous l’effet de la croissance compensatrice. L’objectif de croissance de 1 300 g par jour de la naissance au sevrage avait été atteint dans les deux lots. Conclusion : une complémentation de 1 kg par 100 kg de poids vif, plafonnée à 4 kg en fin d’hiver, est suffisante pour produire un broutard de 400 kg à la fin de juin et ne pas nuire aux croissances des veaux au pâturage. « Une bonne production laitière des mères grâce à la sélection génétique et à la conduite alimentaire est un prérequis indispensable, soulignent Adrien Demarbaix, responsable de la ferme de Jalogny, et Jérémy Douhay, de l’Institut de l’élevage. »

Absence totale d’aliment
Entre 2021 et 2023, le dispositif expérimental a évolué pour tester l’absence de complémentation au pâturage. Le lot témoin a reçu une complémentation au nourrisseur plafonnée à 3 kg par tête et par jour. À cette fin, le système de pâturage tournant, initialement mis en place sur deux puis trois parcelles, a été intensifié sur cinq et mis en œuvre sur les terrains les plus profonds au meilleur potentiel agronomique. Dépendantes de la pousse de l’herbe, les croissances des veaux non complémentés sont restées soutenues : 1 600 g par jour la première année dans des conditions climatiques favorables, 1 378 g par jour la seconde avec un printemps froid et sec.
À partir de 2023, les responsables de la ferme ont souhaité tester l’absence totale de complémentation de la naissance au sevrage. Alors que le premier lot continuait à recevoir 1 kg de mash par 100 kg de poids vif en bâtiment et une complémentation plafonnée à 3 kg par veau et par jour au pâturage, le second ne devait compter que sur le lait des mères et sur l’herbe pâturée. Malgré un printemps sec, les croissances des veaux non complémentés se sont élevées sur l’ensemble de la période à 1 366 g/j contre 1 517 g/j pour leurs congénères complémentés (1) . Ils pesaient à la vente (sept jours plus tard que les animaux complémentés) 32 kg de moins. Leur prix de vente a été inférieur de 117 €. Mais compte tenu des économies réalisées sur les concentrés (340 kg), la marge sur coût alimentaire des broutards non complémentés a été supérieure de 23 € par tête.

Pâturage tournant bien géré
Avec un système de pâturage tournant bien géré, il est donc possible de supprimer le concentré au pré et en bâtiment pour des veaux mâles nés à l’automne et vendus en juin sans détériorer la marge et en réduisant la charge de travail. La croissance compensatrice observée au pâturage ne rattrape pas le poids des veaux complémentés en bâtiment, mais l’écart se réduit. Compte tenu des économies de concentrés réalisées, la marge est meilleure. Un point d’autant plus important dans un contexte d’augmentation du prix des intrants.
« Sans prôner la non-complémentation, nous incitons les éleveurs à s’interroger sur les moments clés où celle-ci est la plus efficace, pointent Adrien Demarbaix. En vêlage d’hiver, l’apporter trop tôt, en janvier-février par exemple, n’a pas d’intérêt, car les veaux s’alimentent essentiellement avec le lait de leur mère. Par contre, un peu plus tard, quand les veaux “explosent”, et qu’ils sont plus aptes à valoriser l’aliment, celui-ci a plus d’impact. Au pâturage quand l’herbe est disponible et de bonne qualité, il est inutile de complémenter les veaux. »
(1) Les croissances en bâtiment étaient de 1 183 g/j pour les veaux non complémentés et de 1 506 g/j pour les complémentés. Au pâturage, elles s’établissaient respectivement à 1 583 g/j et 1 723 g/j.