À l’occasion de la tenue du Congrès mondial de la bio du 6 au 10 septembre 2021 à Rennes, l’Inrae a présenté le 7 septembre 2021 ses axes de recherche pour accompagner le changement d’échelle de l’agriculture biologique. L’Union européenne s’est en effet engagée à consacrer au moins 25 % des surfaces agricoles à ce type de production d’ici à 2030.
L’institut a lancé dans ce contexte un métaprogramme de recherche, associant toutes les disciplines et tous les départements de l’Inrae. Nommé Metabio, il explore l’hypothèse où l’offre nationale de produits bio deviendrait majoritaire. « En effet, une agriculture mondiale qui serait convertie à moyen terme à 50 %, voire plus, en bio, nécessiterait un changement radical de toute la chaîne agroalimentaire. Une telle hypothèse de travail pose de nouvelles questions de recherche », souligne l’Inrae.
Adapter les systèmes de cultures au changement climatique
« Aujourd’hui, les enjeux de l’agriculture biologique sur la conservation de la biodiversité et la réduction des produits phyto vont devoir s’associer à des enjeux autres, telle que l’adaptation des systèmes de cultures au changement climatique, développe Lionel Alletto, directeur de recherches à l’Inrae de Toulouse. Les systèmes en bio devront contribuer davantage encore à stocker du carbone dans les sols, à améliorer la fertilité globale des sols pour assurer une durabilité de production en lien avec certains éléments nutritifs qui deviennent rares. »
Compenser la raréfaction en fertilisants
« Il est de plus en plus difficile de compenser par la fertilisation les flux de nutriments sortant des parcelles dans les grains et les pailles », alerte Claire Jouany, chargée de recherche à l’Inrae de Toulouse. En cause : la hausse du prix des engrais et les contraintes réglementaires.
L’agriculture bio doit donc trouver d’autres leviers pour enrichir les sols en azote, potassium et phosphore. Un modèle mathématique développé par l’Inrae « prend en compte le fait que plus les surfaces en bio augmentent, plus il faut aussi consacrer de terres pour nourrir les animaux qui produisent le fumier nécessaire… sachant que les surfaces utilisées pour produire l’alimentation des animaux consommateurs de céréales (porcs, volailles) pourraient être utilisées pour l’alimentation humaine ».
« En réduisant le nombre de ces “concurrents” et en relocalisant les élevages de ruminants au plus près des cultures, le modèle conclut qu’au-delà de 60 % des terres agricoles en bio dans le monde, l’azote viendrait à manquer, expose l’institut. Une augmentation des surfaces en légumineuses, fixatrices d’azote atmosphérique, pourrait fournir l’azote nécessaire à l’expansion de l’agriculture bio. »
Cocktails de légumineuses
L’institut de recherche travaille ainsi à la conception de systèmes qui « maximisent la diversification végétale », à la fois dans le temps (rotation des cultures, introduction de plantes de service comme les légumineuses…) mais aussi dans l’espace (mélange d’espèces pour une diversité de services). L’Inrae s’intéresse notamment à des « cocktails » de légumineuses, à la croissance complémentaire, pouvant servir de « bombes à azote » pour la culture suivante.
Lors de l’interculture, volet peu exploré jusqu’à présent, les agriculteurs biologiques géraient les sols avec des opérations mécaniques. « Aujourd’hui, on essaye de les accompagner pour couvrir au maximum les sols afin de rendre d’autres services, qu’il s’agisse de services de régulation de la flore adventice ou des bioagresseurs, mais aussi de stockage du carbone et d’une amélioration globale de la qualité des sols. C’est un enjeu très important qui impacte notre capacité à changer d’échelle et de passer de 10 à 25 % des surfaces en bio d’ici à 2030. Ce passage-là nécessitera de diversifier encore davantage nos systèmes de culture. »
Ces plantes de diversification devront toutefois apporter des éléments de régulation au moins équivalents. « Il va falloir aussi sélectionner des espèces plus facilement destructibles mécaniquement par le gel. Ces plantes vont par ailleurs générer des modifications de la dynamique d’aliments nutritifs (phosphore notamment).
Sélection participative
Les recherches en génétique jouent un rôle clé pour accompagner le changement d’échelle, comme pour le blé et sa capacité à mieux couvrir le sol pour la gestion des adventices. Des travaux cherchent à améliorer la diversification intraparcellaire et sont souvent associés à de la sélection participative, en prenant l’agriculteur comme expert de son terroir.
« Le développement de la sélection participative permettra, on l’espère, une appropriation facilitée qui associe plus étroitement que par le passé les acteurs de la bio », indique Françoise Médale, cheffe du département scientifique de physiologie animale et systèmes d’élevage et directrice du métaprogramme Metabio.
Creuser les différents critères de qualité des produits bio
Du côté de l’animal, « si les producteurs engagés en agriculture biologique ont des obligations définies par le cahier des charges, ils n’ont en revanche aucune obligation de résultat, expose Sophie Prache, ingénieure de recherche sur les herbivores du département de physiologie animale et systèmes d’élevage. Or, les consommateurs sont de plus en plus en demande de résultats sur la qualité des produits certifiés en bio. »
Pour tenter d’apporter des réponses sur les plans tant nutritionnel, sanitaire que sensoriel, les chercheurs de l’Inrae appellent à multiplier les études et encouragent l’essor d’un étiquetage plus détaillé sur les conditions d’élevage des animaux.
Les experts rappellent en parallèle le travail continu des systèmes d’élevage bio sur l’amélioration du bien-être animal et la conduite en plein air, dès que les conditions le permettent, mais aussi l’exposition plus sensible aux aléas climatiques et sanitaires. Cela « induit par exemple des fluctuations tant qualitatives que quantitatives du lait », détaille le rapport. Avant de préciser que l’un des axes du programme Metabio vise à identifier des stratégies de production et de transformation fromagères adaptées à la saisonnalité des conditions de production et préservant qualité sensorielle et sanitaire.
Gagner en coûts de production
La question reste aussi de savoir comment gagner en coûts de production, et d’appréhender en face quel est le consentement à payer pour le consommateur. Pour Philippe Mauguin, président-directeur général de l’Inrae, cela implique des politiques publiques et sociales adaptées. « Réussir une transition massive vers ce type d’agriculture ne doit pas impliquer une fracture sociale pour accéder au bio », estime-t-il.