Vladimir Poutine, le président russe, multiplie les appels du pied en vue d’une levée des sanctions occidentales en échange d’un déblocage du blé de la mer Noire. Le Kremlin affirme que le président s’est déclaré « prêt à une exportation sans entrave des céréales de la Russie et de l’Ukraine en provenance des ports situés sur la mer Noire » lors d’un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, le samedi 28 mai 2022.

 

Cette position rejoint celle qu’il avait déjà exprimée durant la semaine avec d’autres chefs d’État : le chancelier autrichien Karl Nehammer, vendredi 27 mai 2022, et avec le Premier ministre italien Mario Draghi la veille.

 

Le 30 mai 2022, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, doit évoquer cette question au cours d’un entretien avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Kiev, selon un communiqué du Quai d’Orsay.

La Russie pourrait exporter 50 millions de tonnes

Dans le même temps, le ministre russe de l’Agriculture, Dmitri Patrouchev, fait miroiter une conséquente production russe à même de faire sortir de la crise le bilan alimentaire mondial :

« En cette saison (2021-2022), nous avons déjà exporté 37 millions de tonnes de céréales, dont 28,5 de blés et d’ici à la fin de l’année agricole (le 30 juin, ndlr) nous visons 37 millions de tonnes de céréales exportées. Et la saison à venir (débutant le 1er juillet 2022), nous estimons notre potentiel d’exportation à 50 millions de tonnes. » La Russie estime que la récolte de 2022 sera de 130 millions de tonnes, contre 121,4 l’an passé.

 

Des témoignages de terrain rapportent depuis plusieurs semaines des vols de blé depuis les silos ukrainiens.

 

Occupied Melitopol. Grain trucks with Z mark, accompanied by orcs, going to Crimea.

Russia steals Ukrainian grain. Once upon a time, Soviet did same.https://t.co/QzOF660Exv pic.twitter.com/bvKFbiQA2Q

— Elena Faige Neroba (@ElenaNeroba) April 28, 2022

 

Aux yeux de Vladimir Poutine, son pays n’est pas responsable de la crise alimentaire mondiale. Il attribue les tensions à « une politique économique et financière erronée des pays occidentaux, ainsi que par les sanctions antirusses » imposées par ces pays, explique-t-il dans le communiqué du Kremlin du samedi 28 mai 2022. La veille, au cours de son entretien avec le chancelier autrichien Karl Nehammer, il a jugé « sans fondement » les accusations contre la Russie, tenue pour responsable des problèmes mondiaux de livraisons de céréales en raison de son offensive en Ukraine.

Ouvrir le champ de mines

Du côté des Occidentaux, le point de vue est différent. Aux États-Unis, le porte-parole du ministère de la Défense, John Kirby, a accusé la Russie de se servir de l’alimentation comme d’une arme. « Et nous sommes évidemment en discussions avec nos partenaires et alliés internationaux sur la façon de répondre aux mieux à tout ceci », a-t-il ajouté sans plus de précision. Le Premier ministre italien Mario Draghi ne s’est pas montré véritablement convaincu après son entretien avec Vladimir Poutine : « Lorsqu’on me demande si j’ai vu des lueurs d’espoir pour la paix, la réponse est non », a-t-il résumé.

 

Il faudra pourtant une coopération internationale pour débloquer la situation dans les faits. Au cours d’une conférence de presse après sa discussion avec Vladimir Poutine, Mario Draghi a suggéré une « collaboration entre Russie et Ukraine sur le déblocage des ports de la mer Noire » où se trouve le blé, qui risque de pourrir, « d’une part pour déminer ces ports et d’autre part pour garantir qu’il n’y ait pas d’accrochages pendant le déminage ».

 

Deux jours plus tard, le chancelier allemand Olaf Scholz affirmait que lui-même, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine étaient d’accord sur le rôle central que doivent jouer les Nations unies pour garantir les exportations. Le président russe se serait « engagé à ce que la Russie ne profite pas de l’ouverture de la ceinture de mines mise en place pour protéger les ports ukrainiens, afin de permettre l’exportation de céréales par bateau, pour mener des actions offensives. »

Un pont ferroviaire pour sortir le blé de l’Ukraine

La confiance dans les promesses de Vladimir Poutine étant toute relative, les voisins de l’Ukraine mettent déjà en place des solutions pour sortir le blé d’Ukraine avant de passer un accord avec la Russie.

 

Le port roumain de Constanta, au sud-ouest de l’Ukraine, est une porte de sortie mais ses capacités sont limitées à 90 000 tonnes par jour. La production ukrainienne qui y transite est expédiée par voie maritime en mer Noire, mais pas dans la partie de la mer Noire sous blocus russe. « Nous pensons qu’il y a environ 22 millions de tonnes de céréales bloquées en Ukraine, en attente d’être expédiées », a déclaré le 26 mai 2022, devant le Congrès américain, le général Chris Cavoli, futur chef des forces américaines en Europe et donc de l’Otan.

 

Il a aussi annoncé à cette occasion la mise sur pied d’un axe ferroviaire entre l’Ukraine et l’Allemagne en passant par la Pologne. Il a appelé cette opération un « pont ferroviaire », en référence explicite au pont aérien qui avait approvisionné Berlin Ouest pendant le blocus soviétique de la ville en 1948 et 1949. « La Deutsche Bahn est en train d’extraire d’Ukraine des quantités massives de céréales en ce moment, via la Pologne en direction des ports du nord de l’Allemagne pour leur exportation. La Pologne a établi un nouveau régime frontalier avec l’Allemagne pour faciliter cette opération », a-t-il expliqué.

 

« Je pense qu’il va falloir combiner les modes de transport » pour continuer à faciliter les exportations de céréales ukrainiennes, a-t-il conclu.