« La terre est le dernier actif de valeur en Ukraine, si important que beaucoup craignent de ne pas savoir le gérer », déclare Oleksiy Sobolev, le jeune directeur de ProZorro à Kiev, la plate-forme en ligne des marchés publics ukrainiens. Alors que la vente de foncier agricole est toujours interdite dans le pays, il travaille à un projet pilote pour faciliter la location de terrains, convaincu de la valeur ajoutée d’une levée du moratoire sur la vente des terres, introduit en 2001. Oleksiy Sobolev rappelle néanmoins un certain nombre d’obstacles techniques à l’ouverture de ce marché : facilités bancaires, fiabilité du système juridique, irrigation et, en premier lieu, le parachèvement du cadastre.
Recensement des parcelles
Mis en place le 1er janvier 2013, le système de recensement des parcelles fonctionne « sur la base de démarches volontaires », explique Oreste Del Sol, agriculteur français basé dans l’extrême ouest du pays. Les procédures, effectuées pour la plupart sur un système électronique, sont relativement simples, et le temps d’enregistrement ne dépasse pas trois semaines. Propriétaires, locataires, coopératives ou encore collectivités locales peuvent entreprendre la démarche.
Dans une réponse écrite, le Service d’État de géodésie, de cartographie et du cadastre indique avoir recensé 20 397 700 parcelles au 1er juillet 2019, soit 41,6 millions d’hectares. S‘il ne précise pas l’état d’avancement du cadastre, une visite sur la carte en ligne (1) permet de constater que celui-ci n’est pas complet. « L’enregistrement n’est pas obligatoire pour des terres en usufruit ou en location depuis moins d’un an », explique l’exploitant. Il s’agit d’une part importante des terres arables ukrainiennes, aujourd’hui sous-exploitées, qui ne sont pas encore délimitées. Pour Oleh Kachmar, avocat au cabinet Vasil Kisil & Partners, une raison tient à « l’archaïsme » du système, dû, en partie, à l’institution même du Service d’État.
Enchères
Oleksiy Sobolev a également constaté des résistances au projet de ProZorro. La plate-forme a hébergé dix enchères de location de terrains. « Toutes couronnées de succès », selon lui. Annoncée en amont, l’enchère est ouverte pendant cinq heures au maximum. « Le système permet de dégager des prix plus bas que ceux pratiqués actuellement en Ukraine, poursuit le directeur. Les résultats montrent que les oligarques et les grandes entreprises de l’agroalimentaire ne gagnent pas nécessairement. »
Le projet pilote est pourtant à l’arrêt. Le Service d’État lui reproche d’être trop transparent et refuse de transmettre plus de données du cadastre pour l’organisation de nouvelles enchères. Un « blocage temporaire », pour Oleksiy Sobolev, qui se réjouit de l’annonce de l’équipe du nouveau président, Volodymyr Zelenskyy, de lever le moratoire d’ici à la fin de l’année. « Mais il faudra bien cinq ans pour garantir un marché de la terre fonctionnel et compétitif, conclut le jeune directeur. Il y a encore beaucoup à faire. »