Roman Gorobets et son frère Andrii sont à la tête de la ferme « Astra », localisée dans la région de Poltava en Ukraine, à environ 250 km au sud-est de Kiev. Sur 2 200 hectares, ils produisent du blé d’hiver, de l’orge de printemps, du maïs, du soja et du tournesol. Ils ont également des petits ateliers de légumes et de volaille. La zone n’est pas occupée par l’armée russe, bien que régulièrement touchées par des frappes aériennes.
Stocks d’intrants
« Nous avions acheté des engrais, du carburant, des semences, des pesticides avant la guerre », indique Andrii Gorobets à La France Agricole. Leur situation fait exception, selon eux. Les deux frères préfèrent vendre leurs récoltes et acheter leurs intrants dès que l’équilibre des prix est rémunérateur. Roman Gorobets précise que la majorité des agriculteurs n’ont pas encore vendu leur récolte de 2021, attendant une hausse des prix des grains.
Ainsi, « la plupart des agriculteurs manquent de carburant, de produits chimiques, de semences… », estime-t-il. Il explique qu’ils sont bloqués car il leur est impossible de vendre leurs productions, la logistique d’exportation étant à l’arrêt. « Notre pays fait son possible pour établir des connexions avec les pays limitrophes comme la Roumanie, la Hongrie ou encore la Pologne, mais la capacité des trains est limitée. »
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Plateforme du gouvernement
« Notre gouvernement a déjà créé un programme pour soutenir les agriculteurs dans le besoin. » Il s’agit d’un site internet où chacun peut s’enregistrer et indiquer ce dont il a besoin, et les stocks de grains qu’il lui reste. Cela permet aux utilisateurs d’obtenir notamment des garanties bancaires. « Heureusement, notre système bancaire fonctionne bien », relève Roman Gorobets, bien que certains délais puissent être un peu plus longs que d’habitude.
L’agriculteur tient à souligner que d’un point de vue administratif, « cela pourrait être bien pire, tout aurait pu s’arrêter ». De manière plus générale, il est reconnaissant envers tous les Ukrainiens qui travaillent pour maintenir le fonctionnement de la société.
Main-d’œuvre
Si quelques-uns de leurs employés sont mobilisés, le manque de main-d’œuvre ne se fait pas sentir. Actuellement, une dizaine de personnes travaille dans la structure (jusqu’à cinquante durant la haute saison).
« Notre gouvernement comprend l’importance de l’industrie agricole », indique-t-il. Cela explique que le personnel agricole n’est pas prioritairement mobilisé par l’armée. « Les officiers locaux sont rationnels. Tout le monde comprend que ce n’est pas parce que vous savez conduire un tracteur que vous allez être un bon soldat. Les premiers mobilisés pour se battre contre les Russes sont ceux qui ont de l’expérience. »
Comme ils aiment à le partager sur les réseaux sociaux, les travaux aux champs continuent, comme actuellement la fertilisation des blés.
Baisse de production
« Si le conflit venait à durer, la campagne de semis pourrait être en danger dans les zones occupées, car les Russes s’approprient ou détruisent des machines », relate-t-il. Et d’ajouter que les routes endommagées par les combats ou bloquées par l’armée russe pourraient gêner la livraison des intrants, ou même l’accès aux champs en tracteurs.
Même s’il souligne que tous les agriculteurs veulent éviter une année blanche, Roman Gorobets estime qu‘il y aura une baisse de production pour toutes les cultures car la campagne ne sera pas menée de manière optimale. Si les deux frères vont essayer de maintenir leur productivité, Roman Gorobets pense que ce ne sera pas le cas de beaucoup d’agriculteurs ukrainiens. Même dans l’hypothèse où les intrants sont disponibles, « si vous ne savez pas à quoi va ressembler le futur, vous allez adopter une stratégie différente de d’habitude », estime-t-il.
Zone sud plus sensible
D’autant que d’autres facteurs pourraient s’ajouter. Les entreprises avec qui ils travaillent leur ont par exemple indiqué avoir des stocks de pièces détachées importées, mais « cela pourrait devenir un problème à l’avenir », estime Roman Gorobets.
« L’importance de cette baisse de production est liée à la durée de la guerre. La phase la plus active de la campagne de semis commence dans environ trois semaines », rappelle-t-il. Dans sa régionle, le tournesol et les orges de printemps sont généralement semés au début d’avril , le maïs entre mi-avril et mai ; le soja au début de mai. La zone sud de l’Ukraine, en plus d’être directement concernée par les combats, « pourrait être davantage impactée car les semis y sont un peu plus précoces », précise l’agriculteur.
Arrêt travail à façon
« Habituellement, nous faisons du travail à façon pour d’autres agriculteurs. Mais nous avons décidé cette année de ne pas en faire. » L’objectif est double : d’une part, pour garder un parc de matériel disponible pour pouvoir travailler dès que la fenêtre est favorable ; d’autre part pour économiser du carburant. « Nous avons assez de stock pour la saison de semis, mais il est préférable de raisonner les usages. »