« Malgré la guerre les sols sont emblavés et les récoltes sont faites. » C’est avec ce constat rassurant que Gérard De La Salle, dirigeant de la société ukrainienne Alfagro, a dépeint l’agriculture ukrainienne ce 14 septembre 2022 lors d’une conférence organisée par le Syrpa au Space.
Dans le sud du pays, soit 20% environ du territoire ukrainien où sont présentes les troupes russes, la situation est plus complexe. « Les agriculteurs ne travaillent pas dans cette région car il leur serait impossible d’exporter leurs récoltes, poursuit-il. Les stocks qu’ils avaient au début de la guerre ont été chargés dans des camions par l’armée russe et exportés en Russie via la Crimée. »
Trésoreries en difficulté
Florian Garnier, directeur général d’une exploitation de 10 000 hectares dans la région de Zhytomiyr à 200 km de Kiev confirme le constat : « Nous sommes en train de semer le blé après avoir emblavé le colza. Les semis devraient se terminer au 1er octobre. » Florian a toutefois fait face à des problèmes de trésorerie.
Pour réaliser ses semis, il a été obligé de vendre du blé à 120 euros la tonne, soit 30 euros en dessous de ces coûts de production. Dans l’ensemble, les exploitations ukrainiennes font face à de gros problèmes de trésorerie et il est difficile de se tourner vers les banques, car les taux des prêts bancaires sont de 25%.
Une adaptation au jour le jour
Celui qui se décrit comme un agriculteur entrepreneur explique que dans l’ensemble ses cultures n’ont pas été trop impactées par la guerre. « Le hasard du calendrier a voulu que la guerre soit déclarée le 24 février quand il faisait encore –10°, raconte Florian Garnier. Mais nos tracteurs étaient révisés, nous avions encore du diesel, donc nous avons apporté nos engrais plus tôt que prévu. Depuis le début du conflit, nous vivons au jour le jour. » Les semis de printemps ont également été réalisés plus tôt que les autres années.
Les cultures d’automne privilégiées
Si Florian ne s’épanche pas sur la question, d’un point de vue personnel il se montre plus touché par le conflit : « Quand la guerre a éclaté, certains de nos salariés ont été mobilisés. Nous les avons vu partir sans casque et sans gilet par balle. Nous avons eu peur pour eux. »
Depuis l’instauration de la loi martiale en Ukraine, il est aussi impossible de travailler de nuit alors qu’il s’agit d’une habitude sur cette exploitation. Les travaux des champs s’y font en effet de jour comme de nuit grâce à une rotation des équipes en trois-huit.
Florian Garnier souligne aussi que, cette année, il a réduit la part des cultures d’hiver dans son exploitation. Celle-ci est passée de 30 à 20%. Il a estimé avoir plus de visibilité à huit mois, d’où la décision de privilégier les cultures d’automne dans son assolement.
Stockage difficile
Le gros obstacle des agriculteurs ukrainiens reste le stockage des récoltes. Au début de la guerre , en février 2022, 245 millions de tonnes étaient stockées en Ukraine. Seuls 10 millions ont été exportés entre février et la fin d'août 2022. La nouvelle récolte vient s’ajouter au report de la précédente.
Gérard De La Salle explique que les exploitations agricoles les plus impactées sont les plus grosses, de 25 000 à 570 000 hectares et les plus petites, moins de 1000 hectares. Pour les premières, les volumes à exporter sont tellement importants qu’il est difficile de trouver des voies d’acheminement. Pour les plus petites, la limite est le coût logistique : elles ne dégagent pas assez de revenus pour payer ces coûts.
Des exportations pas encore au niveau d’avant-guerre
Ce sont donc les exploitations de tailles moyennes (entre 10 000 et 25 000 hectares), comme celles de Florian Garnier qui tirent le mieux leur épingle du jeu. L’agriculteur a cependant dû adapter son stockage en déployant tous les silobag dont il disposait.
Depuis la signature à la fin de juillet 2022 de l’accord tripartite entre l’Ukraine, la Turquie et la Russie, les exportations ukrainiennes ont repris de l’ampleur. Une centaine de bateaux ont depuis quitté l’Ukraine. Gérard de La Salle tempère toutefois cette bonne nouvelle : « En août, 2,4 millions de tonnes ont été exportées, soit moins de la moitié des exports réalisée en un mois avant la guerre. »