Le premier procès contre l’association L214, programmé lundi 12 juin devant le tribunal de Versailles, aura duré 10 minutes. Avant d’être reporté au 4 septembre pour une question d’argutie juridique. Il réunissait la quasi-totalité des familles de protagonistes du débat sur la protection animale. Deux militants, dont Sébastien Arsac, cofondateur de L214, étaient convoqués pour avoir pénétré dans l’abattoir d’Houdan (Yvelines) en décembre 2016. Ils y avaient placé des caméras. Lorsqu’ils sont venus les récupérer, la gendarmerie les arrête en flagrant délit. Vincent Harang, dirigeant de l’abattoir, a porté plainte devant le tribunal de Versailles pour « violation de domicile et tentative d’atteinte à la vie privée par fixation, enregistrement ou transmission de l’image ». Les militants risquent de la prison et entre 15 000 et 45 000 euros d’amende.
Plainte contre plainte
Malgré cette arrestation, l’association a diffusé, via l’émission « Envoyé spécial » sur France 2, une première vidéo en février 2017 montrant un employé frappant des porcs à de multiples reprises pour les faire avancer vers le puits de CO2 (méthode d’étourdissement légale). Elle porte plainte à son tour contre l’établissement. En juin, quatre jours avant le procès de Versailles, elle remet de l’huile sur le feu en diffusant une autre vidéo, cette fois sur l’étourdissement des porcs dans le puits de CO2. Opération douloureuse visiblement mais autorisée. Une pétition d’un collectif de chercheurs, qualifiant les militants de L214 de lanceurs d’alerte et demandant la non-tenue du procès, est aussitôt relayée dans le journal « Libération ».
Vincent Harang, qui s’est beaucoup démené pour défendre une filière « porc » de qualité en Île-de-France, qui avait investi dans la vidéo-surveillance, ouvert son établissement aux caméras d’« Envoyé spécial », s’est pris cette transparence comme un boomerang. Il est arrivé au procès abasourdi : « Cette intrusion a terni notre image. Nos employés étaient choqués. Nous avons reçu 150 lettres d’insultes et des menaces de mort. Nous avons perdu cinq de nos clients, même si nous avons gardé ceux qui nous connaissent vraiment. »
Des établissements indispensables
Comme tous les abattoirs, celui d’Houdan avait fait l’objet d’un contrôle par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) des Yvelines en avril 2016. Elle notait : « La maîtrise de la protection animale est en grande partie satisfaisante, malgré le constat de points de fragilité. » Vincent Harang avait aussi accepté, en mars, un audit proposé par l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs). « Nous écoutons les recommandations mais un abattoir sera toujours un abattoir », rappelle-t-il. Sous-entendu, un lieu où meurent les animaux.
La veille du procès, l’OABA apportait un bémol : elle avait bien effectué une visite en mars 2017 qui révélait 32 manquements, dont 3 nécessitant une urgente correction et 12 une rectification rapide. Elle ne donnait pas de quitus à l’abattoir, qui ne lui avait pas indiqué les dispositions prises pour y remédier.
Dans le rôle de « justiciers »
En arrivant au tribunal, Sébastien Arsac justifiait, devant la presse, cette intrusion par la révélation au grand public de ce qui se passe derrière les murs des abattoirs. « Notre action est nécessaire pour faire cesser les infractions à la réglementation, qui n’ont pas été stoppées par les contrôles des services vétérinaires. »
Face au tribunal, la FDSEA d’Ile-de-France avait organisé un barbecue avec une centaine de militants vêtus du tee-shirt bleu proclamant « La viande, j’en mange, et alors ? ». Parmi eux, les époux Carpentier et Pascal de Sutter, éleveurs : « Nous sommes membres d’une association de Haute-Normandie. Chaque semaine, nous faisons abattre 200 porcs. Nous sommes satisfaits de cet abattoir indépendant, le seul de notre secteur, et nous y tenons. »
Damien Greffin, président de la FDSEA, expliquait pourquoi le syndicat s’était porté partie civile contre l’association : « Cet outil est indispensable à la filière courte d’Ile-de-France. L214 focalise sur les abattoirs parce qu’elle se bat pour les fermer, arrêter l’élevage et pousser au véganisme. Si elle dénonçait vraiment la maltraitance, elle aurait montré immédiatement ces vidéos au lieu de les sortir quand elle a besoin de soutien. »
Après le report du procès, Sébastien Arsac reprenait le débat avec les journalistes : « Jusqu’ici, quand nous nous portions partie civile contre les abattoirs filmés, la filière de l’élevage se portait aussi partie civile, condamnant des pratiques qu’elle estimait indéfendables. Pourquoi sont-ils aujourd’hui aux côtés de cet abattoir qui, pour nous, devrait être fermé ? » Le responsable local de la FDSEA, François Lecoq, répondait : « Bien sûr qu’il y a ces images choquantes mais la direction de l’abattoir a pris des mesures. Ils dénoncent sans faire de propositions, sans soucis des salariés. Ce n’est pas à un tribunal populaire de fermer ce site. »