Pourquoi êtes-vous parfois virulent à l’égard des antispécistes ?
Parce que les espèces sont différentes et que je place l’espèce humaine au-dessus des autres. Dire, comme le font les antispécistes, qu’on s’étonnera un jour de la façon dont nous traitons les animaux comme on s’étonne aujourd’hui de la façon dont ont été traités les noirs ou les femmes, utiliser le vocabulaire des camps d’extermination à propos de poulets, n’est pas admissible. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas œuvrer pour limiter la souffrance animale.
Pourquoi l’homme n’est pas un animal comme les autres ?
Nous avons une origine évolutive commune avec les autres animaux (2). Mais l’homme, par son développement cérébral, n’est pas un animal comme les autres. Il est comme « sorti » de la nature ou, plutôt, y occupe une place particulière, seul animal à modifier son milieu de façon raisonnée, même si parfois déraisonnable. Le cerveau humain à la naissance occupe 10 % de son volume adulte, contre 60 % pour les chimpanzés. Après la naissance, il « apprend » le monde qui l’entoure. À chaque génération, l’animal culturel que nous sommes repart des acquis de la génération précédente, avec un effet cumulatif. Certes, le chimpanzé sait utiliser une « brindille à termites » ou construire des abris. Mais cette « culture chimpanzé » ne progresse pas, ou très peu, au fil des générations. Même s’il s’agit bien d’une culture et non d’un comportement instinctif génétique, nous sommes à mille lieues de la culture humaine et de ses productions intellectuelles qui vont jusqu’à mettre deux humains sur la lune !
Où se loge la différence entre l’homme et les grands singes ?
Chez les grands singes, la taille du cortex est proportionnelle au poids du corps. Le cerveau sert à se déplacer en réponse aux informations du milieu : rechercher la nourriture, approcher un partenaire sexuel, fuir un prédateur. Chez les hominidés, apparus il y a 2 à 3 millions d’années, il y a davantage de cerveau qu’il n’en faut pour ces fonctions de base. Cet « excès de cerveau » est maximal chez les humains modernes, Homo sapiens : rapporté au poids sec de son corps, pour les fonctions de bases d’un grand singe, 500 cm³ de cerveau suffiraient. Or nous en avons 1 400 cm³. Ces 900 cm³ « de trop » ne sont pas situés n’importe où, mais principalement dans des aires dédiées à des tâches cognitives « supérieures » : raisonnement, langage, conscience de soi, toutes fonctions qui participent au développement exceptionnel des liens sociaux et des artefacts culturels.
On dit qu’il n’y a que 1,23 % de différence entre le génome humain et celui du chimpanzé. D’abord, cette différence est au moins de 6 %. Et notre cerveau est 4 fois plus volumineux que celui d’un chimpanzé de même poids sec. Différence de 400 %, avec en plus une composante qualitative du fait des régions préférentiellement agrandies. Faut-il s’en réjouir ? Peut-être pas, mais on ne fera pas machine arrière : il y a 300 000 ans, 10 000 Sapiens peuplaient l’Afrique. Aujourd’hui 7 milliards d’humains occupent 70 % du globe. Un succès sans précédent pour une espèce animale.
Doit-on renoncer à élever des animaux ?
Nous ne retournerons pas à l’époque des chasseurs-cueilleurs. L’agriculture et l’élevage ont permis l’expansion de notre espèce et sa sédentarisation. Le problème est aussi celui d’un biotope compatible avec la survie de l’humanité, point de vue assez égoïste d’ailleurs.
A-t-on le droit de donner la mort aux animaux ?
La vraie question est de limiter au maximum leur souffrance dans les élevages puis dans les abattoirs. Curieusement, on réintroduit les loups mais sans souci des moutons égorgés, des ressources des paysans ou de la sécurité des promeneurs. Les campagnes, depuis longtemps fabriquées par l’homme, n’ont rien de naturel. Et cela devra s’accélérer pour adapter scientifiquement les espèces, plantes et animaux, aux changements liés au réchauffement climatique. Sinon, il y aura encore plus de famines, de migrations, de guerres. Et là, les solutions ne sont pas « naturelles » mais techniques.
(1) Il intervient régulièrement sur France Culture : https ://www.franceculture.fr/emissions/l-invite-des-matins/manger-des-animaux-est-ce-inhumain
(2) Les mammifères sont apparus il y a 200 millions d’années, les hominoïdes qui en sont issus il y a 15 millions d’années. Cinq espèces en survivent aujourd’hui : l’orang-outan, le gorille, le bonobo, le chimpanzé et l’homme, apparu il y a 6 à 8 millions d’années.