L’autorisation du gouvernement donnée à Total, le 16 mai dernier, pour la reconversion de son site de la Mède (Bouches-du-Rhône) en bioraffinerie a mis le feu aux poudres. Le projet initial prévoyait en effet l’importation de 550 000 t d’huile de palme, économiquement la plus compétitive (prix moyen mondial de 552 €/t, contre 682 €/t pour l’huile de colza). Face à la levée de boucliers, Total s’est engagé à transformer 50 000 t de colza français, et à limiter son volume d’importation d’huile de palme à 300 000 t dès cet été, soit l’équivalent de la production d’environ 340 000 ha de colza.
Pour la FNSEA, les JA, et la Fop (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux), ce sont autant de débouchés en moins pour le colza français, dont les trois quarts des volumes sont valorisés en biodiesel. Ils craignent que le projet déstabilise la filière française de biodiesel, qui est par ailleurs déjà mise à mal par la forte concurrence indonésienne et argentine (lire La France agricole n° 3743, p. 5), et un marché mondial des huiles qui se tend (lire l’encadré ci-dessous).
En signe de protestation, la FNSEA et JA avaient occupé dix-huit sites de raffineries pendant quelques jours. Cette manifestation nationale avait donné lieu à une réunion avec le ministère de l’Agriculture. Bien que des avancées sur le sujet des distorsions de concurrence aient été obtenues, Christiane Lambert a annoncé que la FNSEA resterait vigilante face aux futures discussions avec le groupe Total, et a demandé une révision à la hausse de la quantité de colza transformée sur le site de la Mède.
Pendant l’occupation des raffineries, la Coordination rurale manifestait au siège du groupe Avril, qui importe également de l’huile de palme pour son activité d’estérification. Le syndicat souhaitait dénoncer par là les liens existant entre la FNSEA et l’agro-industriel, qui « viennent fausser le débat ». Les ONG, également fortement opposées au projet, évoquent davantage les conséquences sur le climat et la biodiversité de la culture des palmiers. Pas étonnant que le projet crispe tout autant les producteurs que les associations environnementalistes. Si les attentes sociétales sur les enjeux environnementaux de l’huile de palme se sont majoritairement manifestées sur sa présence dans l’alimentation, il s’avère pourtant qu’une large majorité des volumes importés en France, de l’ordre de 80 %, sont destinés à l’industrie du biodiesel.
Interdiction européenne en 2030 : pas si sûr
La décision de Total de miser sur l’importation d’huile de palme pour la reconversion de cette raffinerie peut surprendre, au regard des décisions européennes qui ont récemment été prises. Après deux ans de discussion et cinq mois de négociations, Commission, Parlement et Conseil européens ont, en effet, trouvé un accord, le 14 juin, sur la révision de la directive énergies renouvelables (Red II). Mais si l’interdiction de l’huile de palme dans les biocarburants à l’horizon 2030, avec une diminution progressive à partir de 2023, a été beaucoup évoquée dans les médias, sa mise en application est en réalité plus incertaine. En effet, le terme « huile de palme » n’apparaît pas clairement dans cet accord tripartite, qui utilise une terminologie assez vague. Bien qu’il semble que l’intention des eurodéputés soit réellement portée sur l’interdiction de l’huile de palme, il n’est par exemple pas certain que celle qui est certifiée « durable » soit concernée. L’acte délégué qui aura lieu en février 2019 apportera davantage de détails, et les éléments techniques exacts de l’accord.
Une huile durable ?
Divers labels garantissant chacun leurs critères de durabilité pour la production d’huile de palme ont vu le jour depuis les années 2000. Protection des zones à haute valeur de biodiversité, ou à haute capacité de séquestration de carbone, préservation de la ressource en eau, limitation d’usage des pesticides, consentement de la population pour l’acquisition et l’usage des terres, respect des droits des travailleurs… La comparaison des différents cahiers des charges suggère une forte hétérogénéité de ces labels. La RSPO (Roundtable on sustainable palm oil, ou Table ronde pour une huile de palme durable) est souvent présentée comme l’initiative qui propose les meilleures garanties. Mais en dépit de son succès auprès des entreprises, nombre d’ONG estiment qu’elle ne va pas assez loin, notamment sur la question de la déforestation. La RSPO est en train de mettre à jour son cahier des charges, dont la nouvelle version devrait aboutir d’ici novembre.
Bien que complexe, la question de la durabilité de la production est une question clé pour l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). L’ONG a récemment publié une étude qui a beaucoup fait réagir. Elle concluait en effet qu’interdire totalement l’huile de palme ne ferait que déplacer le problème de la déforestation, en dynamisant la culture d’autres oléagineux (soja, colza, tournesol), qui requièrent quatre ou cinq fois plus de terres que l’huile de palme pour la même production. Plutôt qu’une interdiction, l’UICN prône ainsi une production plus durable. Une posture qui pourrait jouer sur l’interdiction totale ou non de l’huile de palme dans les biocarburants au niveau européen.