Dans un contexte de plus en plus complexe, des agriculteurs ressentent un mal-être diffus, ainsi qu’un besoin de partage et de collaboration pour renforcer leur capacité d’agir. Pour les accompagner dans leurs questionnements, l’Inrae a organisé une « résidence d’agriculteurs », une pause de deux jours pour prendre du recul et construire l’avenir. Les 4 et 5 décembre, trois agricultrices et six agriculteurs de Bourgogne-Franche-Comté se sont ainsi retrouvés sur la ferme d’Emmanuel Ogier, polyculteur-éleveur, à Germigney dans le Jura. Cette expérience faisait suite au projet de recherche Transform, mené par l’Inrae (2019-2022). « De nombreux agriculteurs sont à la croisée des chemins dans leur modèle agricole, constate Lou Lécuyer de l’Inrae de Dijon. La « résidence d’agriculteurs » constitue une opportunité de pause et de réflexion. »

Identifier les freins au changement

Dans une ambiance conviviale, les neufs professionnels, aux productions et pratiques différentes, ont partagé leurs expériences. Au fil des ateliers encadrés par deux chercheuses en sciences humaines de l’Inrae (Juliette Young et Lou Lécuyer) et une médiatrice (Estelle Balian), ils ont identifié les freins au changement (techniques, financiers, personnels…). Ensemble, ils ont réfléchi sur leurs capacités d’agir, pour « ouvrir les possibles ». Éleveur laitier dans le Jura, Pierre a apprécié la qualité du dialogue entre les agriculteurs aux profils et convictions différentes. « Sortir de son milieu et de son entre-soi fait du bien, observe-t-il. Constater qu’on n’est pas le seul à traverser des moments de doutes, est rassurant. Cette résidence partagée avec des agriculteurs bienveillants m’a redonné de l’énergie. » Il se réjouit de voir les échanges se poursuivre sur le groupe WhatsApp créé.

Un cheminement

Hôte du groupe, Emmanuel Ogier a présenté son cheminement entamé il y a dix ans. « À l’époque, mon métier ne me rendait plus heureux. À la suite d’une dépression, j’ai modifié profondément mon système. » Dans la ferme désormais conduite en bio, des haies et des bandes fleuries ont été implantées. Les produits (colza, viande) sont transformés et commercialisés en direct. Ce processus n’a pas été simple. « Techniquement et économiquement, j’étais bien entouré. Mais sur le plan humain, j’étais seul face à mes doutes et mes peurs. À partir du moment où j’ai lâché prise, je me suis fait confiance. » Alors qu’il n’a jamais pris autant de risques techniques et financiers, « je ne me suis jamais senti aussi tranquille et aligné avec ce que je suis au plus profond de moi », dit-il.