« Les gens n’ont plus les codes de la montagne. » Le verdict de Nicolas Peccoz est sans appel. Éleveur transhumant entre la Drôme et la Savoie, il arpente depuis vingt ans les collines avec ses quatre cents brebis. « On vit un enfer avec le retour du loup, assure-t-il. On est obligé d’avoir des chiens de protection pour nos troupeaux, sauf que ça crée sans cesse des problèmes avec les touristes. » Le dernier événement date de la fin du mois août. « Mes chiens ont coursé un cycliste qui s’est cassé le poignet. Comme ils s’étaient fait secouer toute la nuit par les loups, relate-t-il, mes chiens étaient surexcités au matin. Quand ils ont vu débarquer trois vélos, ils sont partis à leur poursuite et les cyclistes ne se sont pas arrêtés. Ils auraient dû, mais ils ont sûrement eu peur et n’ont pas su comment réagir. »

Des médiateurs aux côtés des éleveurs

À l’instar de celui de Nicolas Peccoz, les récits d’accidents liés aux contraintes du pastoralisme sont fréquents dans les estives. Pour tenter d’en limiter le nombre et d’en restreindre la gravité, des initiatives sont mises en place. Parmi elles, la Communauté de communes Pays du Mont-Blanc, en Haute-Savoie, forme depuis trois étés des « médiateurs nature ». Sabine Deberles, coordinatrice du service éducation à l’environnement détaille le projet. « Comme bon nombre de territoires pastoraux, nous avons remarqué la multiplicité des problèmes de cohabitation, les plus récurrents étant ceux entre patous et chiens domestiques. » De juin à septembre, quatre médiateurs parcourent les dix communes à la rencontre des vacanciers pour leur expliquer les comportements à adopter.

« Notre démarche soutient le pastoralisme, insiste Sabine Deberles. Notre spécificité est que nous formons nos médiateurs sur deux semaines, avec l’appui d’éleveurs locaux. Ces médiateurs vont ensuite sur le terrain sept jours sur sept par binôme, avec des piquets, un fil et des panneaux explicatifs. Ça attire l’œil des randonneurs qui s’arrêtent pour en discuter. »

Parfois, ce sont les éleveurs eux-mêmes qui les sollicitent lorsqu’ils sentent leurs chiens nerveux au lendemain d’une nuit difficile. Après trois années de travail collectif, « le bilan est positif, affirme la formatrice. Les agriculteurs nous font de bons retours. » Une initiative qui sera renouvelée à l’été 2026, avec, elle l’espère, une équipe agrandie.

Panneaux et guides de bonnes pratiques

Depuis 2022, la Communauté de communes Pays du Mont-Blanc installe également des panneaux à proximité des villages de montagne pour rappeler les bonnes pratiques aux usagers des sentiers montagnards. « On forme aussi les professionnels de montagne, les guides, les moniteurs de vélo, ajoute Aline Pissard-Maillet, chargée de mission agriculture et forêt. Une campagne de communication avec des spots vidéo est en cours d’élaboration. »

La mise en place d’une signalétique est une initiative répandue. Entre agriculteurs d’une même commune, comme à plus grande échelle. À titre d’exemples, Nicolas Peccoz était président du collectif « Éleveurs de la Drôme » qui organisait des réunions publiques et affichait des panneaux. En Haute-Savoie, la préfecture diffuse en ligne « les bons gestes à adopter en présence de chiens de protection des troupeaux », rappelant la règle d’or en lettres capitales : « Arrêtez-vous et gardez vos distances avec le troupeau ! ».

Une médiation dans le plan loup ?

Plus récemment, l’Institut de l’élevage (Idele) a noué un partenariat avec l’association nationale des médiateurs (ANM) dans plusieurs régions. Depuis le début de janvier 2025, une trentaine de médiateurs sensibilisés au domaine de l’élevage proposent leurs services pour éviter une procédure judiciaire longue et coûteuse. « On est là pour accompagner les relations avec les éleveurs sur des territoires qui ont des difficultés récurrentes, résume Gaëlle Walker, coordinatrice du projet et administratrice à l’ANM. L’objectif est d’intervenir avant le dépôt de plainte. »

Depuis son lancement, une seule médiation a eu lieu, qui est en pause. « Notre principal frein est le financement, constate Matthieu Thelen, médiateur à Montpellier. Cela coûte six cents euros. Certains assureurs professionnels peuvent participer et on s’est rapprochés de la Direction départementale des territoires dans l’espoir que le plan loup assume une part. »

« À l’arrivée, estime l’éleveur Nicolas Peccoz, il y a quelques initiatives qui fonctionnent, mais la montagne est devenue un parc d’attractions et les gens n’en ont rien à cirer de nos contraintes. » Aline Pissard-Maillet de la Communauté de communes Pays du Mont-Blanc l’assure : « Les collectivités développent tout ce qu’elles peuvent pour épauler les éleveurs. Il faut continuer et réexpliquer la culture rurale pour faire cohabiter randonneurs et pastoralisme. » Un défi collectif à relever.