Après plusieurs semaines riches en annonces géopolitiques et soutenant les cours des céréales, l’attente est maintenant de mise, en cette semaine calme pour cause de Thanksgiving aux États-Unis. Les tentatives de négociations entre la Russie et l’Ukraine donnent de l’espoir aux opérateurs quant à une issue du conflit, sans que les avancées soient en revanche perceptibles dans les faits. Les matières premières du secteur de l’énergie sont les premières touchées, avec le pétrole et le gaz atteignant des plus bas depuis octobre. Les tentatives d’accord pourraient prendre plusieurs mois, en pesant sur les cours du pétrole.
Le blé français fait face à une forte concurrence
Le soutien des cours des céréales du début du mois de novembre est bel et bien fini, laissant maintenant les opérateurs enclins aux doutes, entre fondamentaux lourds et incertitudes géopolitiques. Les cours du blé à Rouen retrouvent ainsi les niveaux de 187,5 €/t, après un plus haut à 193,5 €/t au début du mois de novembre 2025. La demande soutenue, en particulier pour des orges, permet aux primes physiques de maintenir des bons niveaux pour la saison à plus de 4 €/t pour du blé meunier à Rouen. Le rebond de la parité euro-dollar limite toutefois la bonne compétitivité actuelle des blés européens pénalisés de plus par l’accélération des flux à l’exportation en provenance de la mer Noire. Après le ralentissement de l’arrivée des flux en zone portuaire en Russie en début de campagne, les importateurs tels que l’Égypte profitent désormais de cette hausse de disponibilités pour contractualiser des bateaux cette semaine.
Mais la France devra surtout faire face à un exportateur de taille cette année, avec l’Argentine, dont le potentiel de production ne cesse d’être réestimé en hausse au fur et à mesure de l’avancée des récoltes. La Bourse de Buenos Aires estime maintenant la récolte de blé argentin à un record de 25,5 millions de tonnes, soit une hausse de 1,5 million de tonnes par rapport à ses dernières attentes. Les moissons sont avancées à près de 34 % selon l’organisme. La qualité des blés est scrutée de près. Si cette dernière s’affiche suffisante, la France sera en concurrence face aux blés argentins, aujourd’hui les moins chers au monde, sur des destinations clés telles que le Maroc. Cela pourrait impacter les stocks de fin de campagne en France, déjà attendus selon Argus au plus haut depuis 2004, à 3,9 millions de tonnes, dans un contexte global de grande disponibilité en Europe. La Commission européenne souligne d’ailleurs cette offre abondante en augmentant ses estimations de récolte de la campagne 2025-2026 à 134,2 millions de tonnes contre 133,4 millions de tonnes précédemment en blé.
La demande dynamique en orge soutient la prime
Dans cette morosité actuelle, les orges parviennent à tirer leur épingle du jeu en bénéficiant d’une demande soutenue sur la scène internationale. Les prix à Rouen s’affichent ainsi à 193 €/t, favorisés par une prime toujours historiquement élevée pour la saison à 10 €/t, en marge des valeurs négatives des dernières années. Pour cause, les importateurs du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique se montrent très présents depuis plusieurs semaines, à l’instar de la Tunisie, qui a contractualisé hier l’achat de 75 000 tonnes d’orges. La Turquie, ou encore le Maroc sont attendus aux achats après les mauvaises récoltes dans ces pays. Face à ces flux, l’offre disponible est de plus en plus limitée, dans un contexte de rétention des agriculteurs toujours présente. L’offre réduite en mer Noire favorise ce contexte tendu, avec en Russie moins de 2 millions de tonnes encore à exporter à date sur la fin de la campagne. La Commission européenne revoit de plus la production d’orge à la baisse à hauteur de 55,6 millions de tonnes contre 55,9 millions de tonnes précédemment sur le Vieux continent.
Dans ce contexte, les déclassements d’orges brassicoles se poursuivent afin de répondre à la demande fourragère. La demande propre au secteur brassicole reste morose, avec des brasseurs couverts pour les mois à venir. L’arrivée des récoltes en Australie et au Canada devrait renforcer la pression concurrentielle, apportant une compétitivité accrue sur le marché mondial d’ici les prochaines semaines.
Une offre mondiale de colza qui pourrait penser à court terme
Le complexe oléagineux reste soutenu par le soja et les attentes d’achats massifs de la part de la Chine, malgré un manque de concrétisation de volumes à date. À court terme, le marché du colza en Europe maintient une certaine fermeté, favorisé par la bonne demande saisonnière en biodiesel sur le continent, et le récent soutien du tournesol. La graine de colza Fob Moselle s’affiche ainsi à 486 €/t, en hausse de 10 €/t depuis trois semaines.
D’un point de vue fondamental, la bonne production européenne de colza est maintenant intégrée par les opérateurs, en témoigne la mise à jour des chiffres de la Commission européenne parue en fin de semaine. Cette dernière a revu à la hausse la production européenne de colza cette année à 20,2 millions de tonnes, contre 19,9 millions de tonnes précédemment. La Commission européenne maintient des prévisions d’importations à 5,5 millions de tonnes sur la campagne, en ligne avec les attentes d’Argus.
Les flux entrant sur le Vieux continent feront l’objet de toutes les attentions des prochaines semaines. Contrairement à l’usage, l’Ukraine pourrait exporter cette année un peu moins de 1,9 million de tonnes vers le Vieux continent, laissant davantage de parts de marché aux autres origines. L’Australie et le Canada pourraient ainsi exporter respectivement 1,3 et 1,8 million de tonnes vers l’Europe, dans un contexte de très bonnes productions sur ces deux pays. Le Canada ayant perdu la destination chinoise, l’offre canadienne devra trouver d’autres origines, s’ajoutant ainsi à l’offre mondiale abondante à moyen terme.
Retour des fondamentaux sur le soja après les annonces géopolitiques
Le marché du tourteau ne cesse d’être animé par des annonces géopolitiques, que ce soit Outre-Atlantique ou en Europe. À Chicago tout d’abord, les perspectives d’achats de la part de la Chine à hauteur de 12 millions de tonnes d’ici la fin décembre sont au centre de l’attention, alors que les volumes contractualisés à date ne s’élèveraient à ce jour qu’autour des 3 millions de tonnes. Les opérateurs restent donc sceptiques, et les cours de la graine de soja à Chicago consolident depuis plusieurs jours autour des 11,3 $ le boisseau.
En Europe, les tourteaux en délivré Montoir qui avaient rebondi dans le sillage du marché américain, laissent maintenant la place à une chute des cours à 354 €/t. Ils perdent près de 23 €/t depuis le début du mois de novembre 2025. Il faut dire que les opérateurs ont pris connaissance d’une annonce très attendue cette semaine avec un nouveau vote de la part du Parlement concernant le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts (EUDR). Cette loi serait donc reportée d’un an, laissant aux importateurs du temps pour cet ajustement de taille. Les acheteurs voient ainsi la perte de la prime induite par cette éventuelle mise en place de la loi, pour revenir sur les niveaux de prix de fin octobre. À moyen terme, les opérateurs resteront attentifs au retour des fondamentaux dans un contexte d’activité de trituration record aux États-Unis, entraînant des perspectives d’offre abondante d’ici les prochains mois.
(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.
(2) À suivre : Weather market en hémisphère Sud ; flux à l’exportation de soja américain vers la Chine ; évolution de la demande de blé pour l’Europe ; évolution de la parité euro-dollar ; qualité des blés en Argentine avec l’avancée des récoltes.