De nombreuses agricultrices n’éprouvent pas la même assurance que les hommes vis-à-vis de la profession d’exploitante et de certains travaux agricoles. Cette inégalité symbolique se répercute dans leurs projets d’installations agricoles, la place qu’elles occupent dans les organisations professionnelles et les tâches qu’elles exécutent au quotidien.
« Les hommes naturalisent leur vocation. Ils sont nés dans le milieu agricole et se sentent plus légitimes », explique Alexandre Guerillot, sociologue du genre et du travail, à l’occasion d’une table-ronde de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab) au Salon international de l’agriculture le 27 février 2023.
Des installations tardives
Ce sentiment d'« illégitimité » prend place dès l’enfance, au cœur de la famille et de l’école, au travers de l’apprentissage. « On apprend aux petites filles à douter d’elles-mêmes et aux petits garçons à être sûrs d’eux », détaille Alexandre Guerillot.
Ce phénomène se poursuit jusque dans les formations au lycée agricole et dans la vie professionnelle. « Les jeunes hommes ont des carrières linéaires, ils ont appris à être agriculteurs et à se sentir à l’aise avec l’agriculture dès leur plus jeune âge. Les femmes, elles, s’y mettent plus tard et ont généralement un autre métier à côté », démontre le chercheur.
De ce fait, elles voient leurs démarrages en agriculture retardés. Cette hésitation les pousse à passer par plusieurs étapes avant de s’installer officiellement, en passant par des formations et en s’incorporant doucement à l’exploitation. « Elles vont se blinder et mettre toutes leurs chances de leurs côtés. Les agriculteurs auront beaucoup moins recours à ces moyens », décrit le sociologue.
Les travailleuses de l’ombre
Bien qu’elles y adhèrent, les femmes s’engagent moins que les hommes dans des mandats de représentations professionnels au sein des instances et des organisations agricoles. Elles tendent à se présenter si elles sont persuadées d’être compétentes et d’avoir le temps. Dans un sens, elles « s’auto-évaluent » plus que les agriculteurs.
Dans le cas contraire, elles n’occupent pas les mêmes postes que leurs confrères masculins et réalisent généralement le « travail invisible » dans les organisations. « Le trésorier est souvent une trésorière, le secrétaire est souvent une secrétaire mais le président est un président », expose-t-il.
Le taux de féminisation dans les instances est généralement surévalué. « Celles qui sont élues aux gouvernances cumulent couramment les mandats et sont sur tous les fronts », tranche le sociologue. Ainsi, la majorité fait partie de la masse silencieuse contre une poignée d’agricultrices « militantes professionnelles ».
Des emplois spécifiques sur la ferme
Selon le sociologue, ce sentiment d’illégitimité s’étend aussi aux rôles qu’elles tiennent ou les travaux qu’elles réalisent à la ferme. En agriculture biologique, 78 % des productrices privilégient les soins aux animaux par rapport à la gestion des cultures fourragères dans des systèmes de polyculture élevage. « Certaines fonctions et compétences leur sont plus naturelles que d’autres. Cela est dû à une assimilation préférentielle et au fait d’avoir été poussées vers certaines activités plus que d’autres, notamment vers les rôles domestiques », explique-t-il.
Les récoltes n’échappent pas à ce constat. En grandes cultures biologiques, seules 27 % d’entre elles prennent part aux moissons contre 89 % en maraîchages biologiques. La différence réside dans le fait que les grandes cultures nécessitent davantage l’utilisation de machines agricoles. « Aujourd’hui, le maniement des tracteurs n’est pourtant plus manuel et accessible à tous. Les femmes prennent toutefois moins part aux tâches mécanisées que les hommes », s’étonne le chercheur. « Les hommes occupent généralement les activités à fortes valeurs sociales et économiques », conclut-il.