Je viens de terminer ma marche annuelle. Le tour du Cotentin par le trait de côte. 500 km à pied. Que de beaux moments, si j’exclus l’étape du Mont-Saint-Michel où une enseigne connue est la honte de l’hôtellerie française. L’espace, l’air, la mer, le ciel, la vue, un sentiment de liberté cadencée par les pas, une parenthèse humaine loin du Covid, des manifs, des élucubrations grotesques (l’affaire du sapin de Noël, vraiment !?), des déchirements de la société. Et un hébergement partagé entre hôtels et chambres d’hôtes.
En fait, une grande diversité, qui va de l’investissement hôtelier - où le propriétaire ne réside pas - à la chambre du fils, parti faire ses études, et aménagée pour les voyageurs. Une palette qui va du business impersonnel de la femme d’affaires faussement cordiale, qui cherche le rendement foncier, à l’intimité presque dérangeante du retraité, qui vise un pécule d’appoint. On a eu aussi le plaisir d’être hébergé chez un agriculteur. Éleveur, notre hôte a préféré les limousines aux laitières, jugeant que la production de lait « c’est trop dur ». Quand on arrive, il faut le prévenir car il est encore aux champs avec ses bêtes. Il habite une belle longère avec des chambres aménagées à l’étage. Dans la décoration, on sent la patte d’une femme : les napperons et les fleurs séchées sur le guéridon, les tapis épais sur le parquet ciré, les embrasses à glands pour les doubles rideaux, les coussins brodés… Mais tout a un peu vieilli car son épouse n’est plus.
Désormais seul, l’éleveur ne sait plus faire et tout est resté tel quel. La clientèle a également changé. Au petit déjeuner, les visiteurs lui demandent du « sans gluten » et veulent vérifier le code des coquilles d’œufs. Sans compter les végans, qui ne savaient pas en réservant leur chambre qu’ils tomberaient sur un éleveur… Face aux évolutions des mœurs, notre hôte ne dit rien et quand les enfants des clients sont mal élevés, il encaisse.
Un hébergement chez un agriculteur, c’est à la fois une plongée dans l’histoire de la France et une vision du temps qui passe.