« La pénurie n’a pas eu lieu », a assuré Nicolas Broutin, président de Yara France, à La France Agricole le 28 février 2023, au Salon de l’agriculture. En septembre dernier, le dirigeant avait exprimé des craintes de ruptures dans la chaîne d’approvisionnement en engrais. À cette période, au cœur de la crise du gaz, le groupe norvégien n’opérait plus qu'à 35 % de ses capacités en Europe. C’était sans compter sur les importations d’engrais russes qui ont « significativement augmenté en Europe et en France » pendant cette période, explique-t-il.

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30 % d’urée importée en plus

L’arrêt temporaire des taxes à l’importation d’urée par la Commission européenne a aussi encouragé les achats d’engrais importés. « En 2022, les importations d’urée ont fortement augmenté, entre 20 et 30 % en France et en Europe. On a notamment vu des bateaux d’urée en provenance du Vietnam », appuie Delphine Guey, directrice de la communication de Yara France.

La suspension des droits de douane est pour l’instant prévue jusqu’en juin 2023. « Notre entreprise espère qu’elle ne sera pas prolongée, car cela pénalise nos sites qui ont fait le choix de l’Europe et de la France. La souveraineté alimentaire européenne et française passe aussi par une souveraineté industrielle », ajoute Delphine Guey.

Empreinte carbone « catastrophique »

Cette dernière déplore que les produits « made in France » aient été remplacés par des produits importés à l’empreinte carbone « catastrophique », alors que l’Europe ambitionne d’accélérer la décarbonation de l’agriculture. Yara a d’ailleurs investi des moyens importants pour décarboner une partie de sa production d’engrais, à hauteur de 3 millions de tonnes à l’horizon de 2030. « Soyons vigilants à ne pas remplacer une dépendance au gaz par une dépendance aux engrais importés », insiste-t-elle.

Détente sur le marché

Le prix du gaz s’est aujourd’hui détendu. « Ceux des engrais restent élevés dans l’absolu, mais ils se sont corrigés de moitié par rapport à ce qu’ils étaient au sommet de la crise du gaz », analyse Nicolas Broutin. Selon lui, 65 % des capacités de Yara fonctionnent actuellement. « Certaines usines ont arrêté la production d’ammoniac pour en importer des États-Unis, de Trinidad ou encore de l’Australie. Cela devenait possible en dépit du coût de transport », explique Nicolas Broutin. Les trois usines françaises de Yara ne se sont, elles, jamais arrêtées.

Vers une baisse de production en France

Le président de Yara a observé une baisse de la consommation d’azote en Europe et en France de 15 % sur la campagne précédente. Il table sur une baisse de 5 à 10 % sur celle en cours. « En 20 ans, on a connu une diminution régulière, qui correspondait à une amélioration de l’utilisation de l’azote. Cela n’impactait pas notre potentiel de production. Or, pour la première fois, cette baisse va correspondre à une perte de production agricole. »

Les attitudes d’achats sont différentes, constate Nicolas Broutin. « Plus que jamais, on observe de l’attentisme. Le printemps 2023 est globalement couvert, mais sur certains secteurs, les agriculteurs n’ont pas acheté complètement leur deuxième apport, et surtout pas le troisième, ni le quatrième. C’est aussi une question financière, cela fait un trou dans la trésorerie », explique-t-il.

Sur le marché, ce phénomène se traduit par des périodes sans demande, suivies par des épisodes de fortes demandes inhabituelles. « Il n’y a plus le lissage qu’on connaissait auparavant, mais des à-coups », souligne Nicolas Broutin.