Didier Crost, installé en Gaec depuis 1983, d’abord avec son père, puis avec sa femme, son frère et son fils, voit une partie de son blé valorisée dans une démarche particulière nommée « Agri-éthique ». Didier vend la quasi-totalité de sa récolte en blé à sa coopérative la Dauphinoise. « Je mets une petite partie sur les marchés à terme, mais cela me rapporte peu, explique-t-il. Le risque qualité auquel je suis susceptible de faire face ne me rassure pas sur cette méthode de commercialisation. » Lors d’une année de surproduction majeure comme celle-ci, où les prix du blé sont au plus bas, les méthodes de commercialisation déconnectées des marchés internationaux apparaissent comme une aubaine pour les producteurs.
Une démarche mutualisée
En 2014, la coopérative La Dauphinoise a pris part à la démarche Agri-éthique, qui a vu le jour en Vendée un an plus tôt. C’est la coopérative Cavac qui est à l’origine de cette initiative solidaire de type commerce équitable « Nord-Nord ». Il s’agit d’une démarche qui cherche à revaloriser et sécuriser l’agriculture locale en garantissant le revenu des agriculteurs. Son principe : un contrat à prix de blé fixé sur trois ans, passé entre les agriculteurs et la coopérative, qui elle-même s’engage auprès de meuniers partenaires. Idem pour les meuniers et les boulangers, qui s’entendent à leur tour sur un volume de farine à prix, lui aussi, fixé.
La Dauphinoise livre 5 000 tonnes de blé au meunier Moulin du Bion, soit 5 % de sa collecte en blé. « À la Dauphinoise, le choix a été de mutualiser l’intérêt de la démarche Agri-éthique, car le volume est encore trop faible pour ne pas favoriser certains adhérents plutôt que d’autres », explique Didier. Et Philippe Lefebvre, responsable métiers du grain à la coopérative, de préciser : « On recompose ainsi le prix d’acompte total payé aux adhérents, en prenant en compte les 5 % de blés inscrits dans la démarche Agri-éthique. »
L’intérêt majeur de cette mutualisation de la démarche, en plus de ne pas faire de jaloux, est celui de livrer des lots homogènes au meunier. Il faut savoir que Agri-éthique n’est ni une marque, ni un label, il n’y a donc pas de cahier des charges. Les standards de qualité sont ceux des clients partenaires (meuniers et boulangers). Toutes les variétés de Didier sont recommandées par la meunerie française. Il les choisit d’abord en fonction du rendement, puis il vérifie que les qualités protéiques et sanitaires sont bonnes. Cette année, l’agriculteur a sélectionné Rubisco, Ambello et Bonifacio. La démarche implique cependant des objectifs de bonnes pratiques agricoles qui participent à la préservation de l’environnement. Didier a décidé d’améliorer, en priorité, son apport raisonné d’azote.
S’affranchir du risque qualité
« Nous sommes sur du sol de graviers profonds, avec très peu de réserves hydriques, poursuit l’agriculteur. De plus, un vent chaud peut souffler dans la région au mois de juin, ce qui pose de gros problèmes de qualité. » Des risques de sécheresse qui limitent le taux protéique des blés produits. « Lors d’une bonne année, je ne dépasse pas les 11,5 % de protéines et pendant les mauvaises, je suis plutôt à 10 % », explique Didier.
Autre contrainte : la localisation de l’exploitation au sein d’une zone vulnérable, qui limite les apports d’azote. « En plus du plan de fumure, obligatoire, je fractionne les apports en trois fois et je teste cette année un quatrième apport sur une parcelle de 8 hectares, précise-t-il. J’utilise l’outil Farmstar pour épandre la bonne dose au bon moment. » Il lui coûte 2 euros par tonne de blé récolté. Cependant, l’agriculteur rencontre parfois des difficultés avec cet outil d’aide à la décision, notamment durant une période particulièrement pluvieuse.
« Je ne peux pas prendre le risque d’engager 100 % de ma récolte dans la démarche, les problèmes de qualité sont trop fréquents, reprend-il. C’est également le cas pour mes collègues de la région. Le taux moyen de protéines de la coopérative atteint tout juste les 11 % ! En plus, cette année, la pression sanitaire est importante : les sols restent assez humides en profondeur, je vais devoir passer un deuxième fongicide, ce qui est très rare. »
La contractualisation d’une petite partie de son blé est donc intéressante pour Didier. Un seul bémol à cette mutualisation des intérêts de la démarche entre tous les adhérents : la déconnexion des marchés reste encore minoritaire, du fait du faible volume contractualisé. « Le prix fixé est dissous dans le prix d’acompte. Des amis adhérents se rendent encore peu compte de l’intérêt en termes de prix. La coopérative vise à augmenter les volumes inscrits dans la démarche », conclut l’agriculteur.
Le pouvoir est désormais dans la main des boulangers qui souhaiteraient s’engager dans la démarche et permettraient d’augmenter les volumes de blé engagés.