« La colère monte dans nos campagnes quand le médecin généraliste qui part à la retraite n’est pas remplacé, quand il faut des mois pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmo ou chez un dermatologue », a souligné Guillaume Garot (Parti socialiste), rapporteur de la proposition de loi. Aujourd’hui, a-t-il décrit, « six millions de Français sont sans médecin traitant et huit millions se trouvent dans un désert médical ».

De nombreuses politiques incitatives ont été mises en place ces dernières années, telles que les maisons de santé pluridisciplinaires, les centres de santé, les aides fiscales à l’installation, la fin du numerus clausus… Pourtant « les inégalités ne cessent de se creuser entre territoires, entre Français », a martelé le rapporteur du texte. « Ces mesures ont été utiles mais elles ont coûté fort cher et n’ont pas produit les effets attendus. » Ainsi, détaille-t-il, « entre 2010 et 2023, le nombre de médecins par habitant s’est amélioré de près de 28 % dans les Hautes-Alpes, de près de 23 % dans les Pyrénées-Atlantiques, de 21 % en Haute-Savoie. Mais il s’est dégradé de 16 % dans la Creuse, 12 % dans l’Indre, 13 % dans le Gers ». « Notre République a failli dans notre promesse d'égalité de tous devant la santé », constate Guillaume Garot. « Le moment est venu de réparer cette injustice. »

Loi transpartisane

La proposition de loi transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux a été cosignée par 255 députés de gauche, de la droite et du centre. Après plus de trois années de travail sur le terrain, Guillaume Garot est venu soutenir à l’Assemblée nationale un texte « centré sur l’intérêt général ». « Nous ne devons écarter aucune solution », a-t-il appuyé, face à « une situation qui se dégrade rapidement ».

Le premier article de la loi vise à réguler l’installation des médecins libéraux sur le territoire, par une procédure d’autorisation préalable, en fonction du lieu d'exercice. Cette autorisation serait octroyée de droit dans les zones caractérisées par des difficultés d’accès aux soins. Dans les autres lieux, elle ne serait délivrée qu’à la condition de la cessation d’activité d’un médecin de la même spécialité.

Après avoir été supprimé de peu en commission le 26 mars (29 pour, 32 contre), cet article phare a finalement été adopté à une large majorité par les députés le 2 avril au soir, à 155 voix pour et 85 contre.

Une installation encadrée sur 13 % du territoire

Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, est opposé à cet article qu’il estime contre-productif. Le ministre a notamment pointé les risques de déconventionnement, de départ à l’étranger, ou de changement de métier que sont susceptibles d’engendrer la contrainte du lieu d’exercice. « Je ne crois pas qu’on puisse gérer la ressource humaine médicale sans tenir compte de l’adhésion des professionnels aux mesures proposées », a-t-il argué. Face au manque de médecins, il prône avant tout « la nécessité de former plus, mieux, partout ».

Le député Philippe Vigier (Modem) a tenu à rappeler que d’autres professions médicales (infirmiers, dentistes) sont déjà ainsi réglementées. Défenseur de longue date d’un accès aux soins égal sur le territoire, il a aussi souligné qu’avec ce premier article du texte, le principe de liberté d’installation prévaut. « Il est inchangé pour 87 % du territoire », a affirmé Philippe Vigier. L’installation est donc simplement encadrée pour 13 % du territoire restant, afin de ne pas concentrer davantage là où l’offre de santé est déjà suffisamment pourvue.

Le groupe de députés du Rassemblement national a entièrement voté contre l’article premier de la proposition de loi. « La coercition ne règle en rien le manque de médecins mais risque de créer l’effet inverse », a avancé le député Christophe Bentz. Celui-ci a par ailleurs critiqué que les autorisations soient délivrées par les agences régionales de santé (ARS) qui représentent, selon lui, « le pire échelon de décision ».

La pertinence du zonage des ARS a en effet été mise en cause à plusieurs reprises dans les débats. Un amendement à la proposition de loi soumet d’ailleurs l’élaboration d’un nouvel indicateur territorial de l’offre de soins. « Nous allons proposer un zonage réel complet et cohérent qui concerne l’ensemble des spécialités [de santé] », a défendu Philippe Vigier.

La mesure de régulation n’est pas du goût des médecins libéraux, ni même des maires ruraux, qui ont affirmé leur opposition par voie de communiqués. L’Association des maires ruraux de France, entre autres, déplore que « la proposition de loi ne donne aucune dénomination précise et claire de l’endroit où les médecins devront s’installer » et qu’elle « n’aborde pas le sujet de l’accompagnement de l’installation des médecins ».

D’autres articles à débattre

Faute de temps, les autres articles de la proposition de loi n’ont pas pu être débattus. Le deuxième article prévoit notamment de supprimer la majoration des tarifs de consultation pour les patients sans médecin traitant. Le texte prévoit la mise en place dans chaque département d’une première année d’études en santé pour attirer davantage de jeunes, en particulier dans les zones sous-dotées. Enfin, un autre article crée l’obligation d’installer un centre hospitalier universitaire dans chaque région.

Ces articles font davantage consensus et avaient d’ailleurs été tous acceptés en commission. Leur discussion reprendra en séance de l’Assemblée nationale au début de mai.