Juin 2011. L’équipe du XV de France entame sa phase de préparation au Centre national de rugby de Marcoussis, dans l’Essonne, quatre mois avant la finale de la Coupe du monde organisée en Nouvelle-Zélande. Un reportage diffusé sur une chaîne de télévision nationale montre les tricolores en train de manger des pêches… espagnoles. « C’est l’incident diplomatique ! », se souvient le sélectionneur de l’équipe de France de l’époque, Marc Lièvremont.

Depuis Perpignan, Gérard Majoral, avec qui il a partagé pendant des années le maillot du club de l’USA Perpignan, allume un incendie. Arboriculteur à Thuir, dans les Pyrénées-Orientales depuis qu’il a raccroché les crampons, il hurle au scandale. « Je lui ai répondu : « Gérard, sélectionner les joueurs, choisir la stratégie… Je ne peux pas aussi surveiller ce qu’on leur donne à manger. » Ça s’est calmé par la suite, mais ça nous a servi de leçon. Peut-être d’ailleurs qu’on n’aurait pas perdu en finale cette année-là face aux All Blacks si on n’avait pas mangé des pêches espagnoles ! », s’amuse Marc Lièvremont.

« On y met son cœur »

En mars 2018, à l’occasion du congrès de la FNSEA, l’ancien joueur international, qui fut par le passé saisonnier en viticulture et maraîchage, est revenu sur les liens forts qui unissent, depuis de longues années, le monde du rugby et celui de l'agriculture. Il a parlé de flexibilité à toute épreuve, mais aussi de passion. « J’ai eu la chance de vivre de mon sport, mais au-delà du métier, ce fut une passion, comme pour les agriculteurs. Dans un métier, on y met ses compétences. Dans une passion, on met aussi son cœur et son énergie. »

En tant que sélectionneur, il a par ailleurs du essuyer de nombreuses critiques : « On doit faire des centaines de choix par jour, avec tout ce qu’il existe d’incertitude. Dès qu’on agit, on est de toute façon soumis à la critique. Face aux discours démago ou populistes, il faut garder sa ligne ».

Nourris au terroir

Alors que la Coupe du monde de rugby débutera le 8 septembre en France, quarante-deux joueurs en attendant la liste définitive du 21 août, se préparent actuellement à Marcoussis. Leur nutritionniste, Eve Tiollier, veille désormais au grain quant à l’origine des produits, leur qualité, mais aussi à l’aspect convivial des repas. « On s’attache souvent aux volets physiologiques de l’alimentation, on parle de micronutriments, de vitamines, etc. Pourtant, il est essentiel de ne pas en négliger la dimension conviviale. Pour les joueurs de rugby, cela compte beaucoup. Parmi eux, plusieurs sont associés au secteur agricole, voire agriculteurs. Aussi, au cours de l’année, nous leur proposons de mettre en valeur leurs produits. Nous avons ainsi pu apprécier les côtes de bœuf de chez Jérôme Rey, éleveur à Saint-Vital, en Savoie. On a aussi goûté le porc noir de Bigorre du frère d’Antoine Dupont, le capitaine. Clément est éleveur à Castelnau-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées. Tout cela participe à l’état d’esprit de l’équipe. ».

Le sens des responsabilités

Parmi les joueurs du XV de France toujours en lice, on note la présence également du Toulousain François Cros, dont le père est technicien agricole. D’anciens internationaux ont aussi récemment choisi l’agriculture, comme Yannick Jauzion, ingénieur agronome, fils d’éleveurs de brebis, lancé dans la culture du ginseng, Louis Picamoles, devenu éleveur caprin, ou encore, pour le XV féminin, l’éleveuse élue meilleure joueuse du monde en 2018, Jessy Trémoulière. Ils ont tous en commun « le goût de l’effort, résume Marc Lièvremont, le sens de l’abnégation et de l’humilité, mais aussi du courage et des responsabilités. Des valeurs communes au rugby et à l’agriculture ».