Comment parvenez-vous à choisir une alimentation adaptée pour l’ensemble de l’équipe de France qui rassemble des joueurs très différents ?
Nous constituons dans un premier temps des buffets avec une alimentation qui peut convenir à tout le monde. Le sur-mesure vient ensuite. Il faut savoir que nous sommes 24 heures sur 24 avec les joueurs, nous les accompagnons tout le temps. Chacun d’eux remplit tous les matins un questionnaire sur son état de forme. En cas de courbatures ou de fatigue par exemple, nous les conseillons, au cas par cas, en termes d’aliments et de boissons à consommer durant les repas, les entraînements, mais aussi les matchs.
À ce niveau de performance, les joueurs savent-ils déjà comment bien se nourrir ?
Tout le monde sait qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour pour être en forme. Mais entre la connaissance et le passage à l’acte, il y a un écart qui s’appelle le comportement alimentaire. Ce n’est pas parce que l’on connaît la manière de bien s’alimenter, qu’on l’adopte. Les joueurs ne font pas exception. D’autant plus que beaucoup d’idées reçues et fausses circulent sur la nutrition. En tant que nutritionniste, il me revient donc, avec la collègue avec qui je travaille, d’exposer des conseils pertinents basés sur des évidences scientifiques. Ensuite, la partie est un peu plus difficile. Il faut leur faire appliquer ces recommandations.
De quoi sont composés les buffets de l’équipe de France ?
On s’attache souvent à l’aspect physiologique de l’alimentation, on parle de micronutriments, de vitamines, de sels minéraux, etc. Mais il ne faut pas en négliger la dimension sociale, très importante, d’autant plus dans une discipline collective qu’est le rugby. Beaucoup de joueurs sont issus ou proches du monde agricole. Pour tous, l’aspect convivial compte énormément, surtout quand on vit ensemble pendant deux mois, 24 heures sur 24. De fait, avant de parler de la composition des buffets, nous faisons en sorte de créer des moments chaleureux.
Comme je le disais, plusieurs joueurs sont associés au secteur agricole, voire agriculteur. Nous leur donnons la possibilité de mettre en valeur leurs produits. Nous connaissons bien par exemple les côtes de bœuf de Jérôme Rey, joueur et éleveur à Saint-Vital, en Savoie. On a aussi goûté le porc noir de Bigorre du frère d’Antoine Dupont, Clément, éleveur à Castelnau-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées. Le rugby est un sport au sein duquel manger des produits de qualité est important. Cela participe à l’état d’esprit de l’équipe. La nutrition, ça n’est pas que de la physiologie, c’est aussi du social, de la convivialité, des émotions, du vivre ensemble.
Concrètement, cela donne quoi dans les assiettes ?
D’une façon générale, c’est très varié. On met beaucoup de couleurs et de qualitatif. Il y a souvent des végétaux et des légumes secs en entrée, ensuite toujours au moins un plat avec des légumineuses, mais aussi de la viande, du poisson, des féculents et des légumes au choix. On essaie de varier les sources de protéines. Au sein de l’équipe de France, on a des beaux gabarits, avec des recommandations en protéines supérieures à la moyenne. Pour la population en général, elle est de l’ordre de 0,8 g par kg de poids, pour le sportif en particulier impliqué dans des disciplines qui comporte de la musculation, on est sur au moins le double : 1,5 g à 2 g par kg de poids.
Et il ne faut pas oublier que nos gaillards sont lourds. On essaie donc de varier leurs apports. C’est d’ailleurs, ce qu’il faut surtout retenir : l’importance de la variété qui repose sur des protéines d’origine végétale et animale. À noter qu’au petit-déjeuner, on a une consommation d’œufs importante. Dans les laitages, j’essaie de leur proposer une grande diversité également à base de lait de vache, brebis, chèvre et de jus végétaux. Les menus sont ensuite définis en fonction de l’état de santé des joueurs et de leur programme d’entraînement.
Votre métier est devenu quasi politique, dès que l’on parle de viande, mais aussi d’approvisionnement. Votre communication a-t-elle dû évoluer ?
J’essaie simplement de me rendre utile auprès des joueurs que j’accompagne. Chacun fait ce qu’il veut ensuite. Mais l’objectif principal est bien de faire en sorte qu’ils soient en forme pour être performants et répondre aux exigences des préparateurs physiques et des coachs. Quand on passe deux mois ensemble, si les repas sont tristes, on a vite fait de plomber le moral de l’équipe et de les perdre, ils vont manger ailleurs. Il faut leur montrer que dans l’alimentation on peut manger sainement tout en se faisant plaisir.
On est loin du carré de poisson blanc avec trois haricots. Nos sportifs ne sont pas au régime, ils ne sont pas malades non plus, ils peuvent donc saler leur plat, c’est une question qui m’est souvent posée. Il faut qu’ils soient en bonne santé, ils doivent donc manger suffisamment, de la viande notamment, mais on n’est ni dans l’excès, ni dans la malbouffe. Nous sommes dans la diversité et la convivialité. Quand on est dans le bien manger, on n’est pas dans la restriction.
Où vous fournissez-vous pour concevoir les repas ?
Entre les joueurs et l’équipe encadrante, nous constituons un groupe d’environ soixante-dix personnes. Parmi eux, les chefs cuisiniers mais aussi ceux des établissements qui nous accueillent jouent un rôle déterminant sur la qualité nutritionnelle et gustative des repas. C’est à eux que revient la responsabilité de l’approvisionnement et des fournisseurs. En l’occurrence, les chefs se basent sur des produits de qualité. Il arrive que nous fassions, à certaines occasions, des repas de type gastronomique. Même si l’apport en lipides est plus important durant ces repas, parce qu’on y mange souvent plus que nos besoins, ce n’est pas contre-indiqué dans l’alimentation du sportif, du moment que c’est ponctuel et réalisé à partir, encore une fois, de produits de qualité.