Vivre avec la peur d’une contamination de son cheptel fait partie intégrante du quotidien d’éleveur. Frais vétérinaires, mortalités, contraintes de transport… L’impact peut être conséquent à l’échelle d’une exploitation, mais pas seulement. « Les risques sont là, notamment pour la santé humaine, souligne Susana Guedes Pombo, présidente du conseil de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) le 23 mai 2025 à Paris. Plus de la moitié des maladies notifiées entre 2005 et 2023 sont considérées comme ayant un potentiel zoonotique. »

Un enjeu pas seulement agricole et économique

Autrement dit, des mutations peuvent engendrer une transmission de la maladie de l’animal à l’Homme. L’enjeu n’est donc pas seulement agricole et économique. Il est aussi question de santé publique. « Renforcer la surveillance, la détection et la lutte, en particulier contre les maladies ayant un potentiel zoonotique, c’est essentiel pour éviter de nouvelles pandémies », affirme Susana Guedes Pombo.

Dans un rapport inédit publié le 23 mai dernier, l’OMSA dresse l’état de la santé animale mondiale. Les chiffres concernant l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) interpellent. « En 2024, 42 pays ou territoires ont signalé de nouveaux foyers de grippe aviaire chez les volailles, tandis que 55 ont signalé de nouveaux foyers chez les non-volailles, y compris chez les mammifères », estime le rapport. Et de préciser plus loin : « Les foyers de grippe aviaire chez les mammifères ont plus que doublé l’année dernière, atteignant 1 022 foyers, contre 459 en 2023 ». L’OMSA mentionne des « inquiétudes quant à son potentiel d’évolution vers une crise de santé publique de plus grande ampleur ».

Depuis plus d’un an, le virus se répand de façon massive : en Europe, en Asie, en Amérique, en Afrique, et jusqu’en Antarctique. « On parle actuellement de panzootie. Il n’y a que la Nouvelle-Zélande et l’Australie qui sont épargnées », souligne Sibylle Bernard-Stoecklin, épidémiologiste à la direction des maladies infectieuses et coordinatrice de la surveillance de la grippe au sein de Santé publique France (SPF). Plus d’une cinquantaine de mammifères ont été infectés.

Pays touchés par l'influenza aviaire hautement pathogène entre le 1er janvier 2024 et le 1er avril 2025.

« C’est assez inédit », précise Sibylle Bernard-Stoecklin. À l’origine de ces nouvelles contaminations massives, se trouve notamment un sous-type de l’influenza aviaire, le H5N1, clade 2.3.4.4b. Le virus a muté pour donner un cousin de sa souche originelle, mieux adapté aux mammifères.

Le 14 février 2025, la chaîne d’informations CBS révèle que, en raison de la nouvelle politique de Donald Trump, 1 300 employés des Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) aux États-Unis ont été licenciés, soit 10 % des effectifs. Moins de personnel signifie moins de tests menés auprès des agriculteurs états-uniens afin de repérer de potentiels cas de grippe aviaire.

Pour Meg Schaeffer, épidémiologiste américaine sur les maladies infectieuses et conseillère en santé mondiale pour le groupe SAS, cela ne fait aucun doute : le nombre de cas de personnes contaminées aux États-Unis est largement sous-estimé. « La conséquence majeure, je pense, est la chose que nous craignons tous, à savoir que cela pourrait devenir une pandémie que nous ne pourrions pas contenir parce que nous ne l’avons pas identifiée. Et le risque est réel », poursuit-elle.

Qui paye la prévention ?

Cette surveillance mondiale est essentielle dans la gestion des épizooties. « Pour avoir un bon contrôle des maladies, il faut savoir où elles ont lieu et dans quelles mesures, affirme Gregorio Torres, responsable du département scientifique de l’OMSA. Donc l’accès aux données et la transparence sont les deux clés d’une bonne stratégie mondiale selon nous. » Cette méthode demande une confiance entre États, dans la surveillance mais également dans la gestion des risques.

Emmanuelle Soubeyran, directrice générale de l’OMSA, le rappelle, « chaque pays prend ses propres décisions ». « Il est important que les pays aient confiance dans les procédures mises en place par les membres touchés », appuie Susana Guedes Pombo. Reste encore à trouver le subtil équilibre entre sécurité sanitaire et échanges commerciaux. « On ne peut pas empêcher tous les mouvements d’Hommes et d’animaux à chaque fois, précise Susana Guedes Pombo. Mais il faut gérer les risques. »

Malgré les recommandations de prévention et de vaccination de l’OMSA, les stratégies restent individuelles par pays, mais surtout, payantes. Qui mettra la main à la poche ? Pour la directrice Emmanuelle Soubeyran, le calcul est rapide. « Cela vaut la peine d’investir dans les services vétérinaires en temps de paix par mesure préventive, c’est beaucoup moins coûteux », affirme-t-elle.

L’exemple de la vaccination des canards en France durant l’automne 2023 parle de lui-même. « Il n’y a eu que 10 départs d’épidémie d’IAHP en France en 2024, contre 700 estimés sans la vaccination, chiffre la directrice. Cela a coûté 10 fois moins cher de vacciner que de payer les conséquences d’une épizootie. » Le cercle vertueux semble simple, selon l’OMSA : améliorer la santé animale collectivement a un impact sur la sécurité alimentaire, le commerce, l’économie et la santé publique.