Au fil du temps, les irrigants associés aux projets de réserves ont été accusés de tous les méfaits, harcelés, agressés. Certains ont vu leurs réserves endommagées, leurs canalisations détruites, leurs parcelles envahies... C'est ce qui est arrivé à Ludovic Vassaux, éleveur bio à Épannes, dont la station d'irrigation a été détruite lors d'une manifestation. « Ils ont violé mon espace. C'était comme un cambriolage. La station a été réparée, ce n'est pas le souci. Mais il y a un lien entre ces dégradations et le ressenti moral ensuite. »

« Ce que nous vivons depuis cinq ans, c'est l'inversion des rôles. Nous sommes les méchants. Et ce discours est construit méthodiquement. » Thierry Boudaud, président de la Coop de l'eau qui mène le projet des seize réserves deux-sévriennes, cite l'exemple d'un projet validé par le tribunal administratif. « Mais les opposants continuent de dire qu'il est illégal. Le but est d'avoir des pour et des contre, que les gens soient divisés. » La nuance n'a pas sa place, le monde est clivé entre « gentils », les opposants, et « méchants », les agriculteurs et leurs soutiens, forces de l'ordre ou monde politique.

« De la détresse dans ses yeux »

« Je me demande comment nous avons pu tenir cinq manifestations durant plus de trois ans sans que quelqu'un se fiche en l'air. » Beaucoup des exploitants concernés ont été fortement impactés par la violence des opposants. L'un a vu des membres de la Confédération paysanne défiler devant sa ferme à bord de leurs tracteurs, le majeur levé. Il en a été plus qu'ébranlé. Durant la manifestation de Sainte-Soline, qui a vu s'affronter gendarmes et opposants, les cultures de l'exploitation que Sylvie Perrault partage avec son mari et son fils, « ont été saccagées, les parcelles détruites. Mon fils est un jeune de 30 ans qui travaille dur. J'ai vu de la détresse dans ses yeux. »

Élue à la MSA, elle a très vite contacté toutes les agricultrices de Sainte-Soline raccordées à la réserve. « Nous nous sommes rencontrées. Nous avions toutes la même peur, la même colère. Nous avons pleuré ensemble. » La MSA a mis une personne à leur disposition pour gérer ces émotions.

« Rester en réseau »

Un an après, le groupe fonctionne toujours. « Si l'une de nous a besoin d'un soutien, elle laisse un message sur notre messagerie Whatsapp. » Sylvie reconnaît que le groupe l'a aidée. « J'arrive à en parler sans pleurer. Mais la colère est toujours là. On sait maintenant que la violence est à notre porte, même à la campagne. »

Thierry Boudaud songe à étendre ce principe des groupes d'entraide à l'ensemble de la zone des réserves. Il croit aux échanges, au soutien du collectif. Pendant les trois ans d'affrontements, un énorme travail a aussi été fait avec les forces de l'ordre. « Ils nous expliquent à quelle place nous devons être, que notre rôle, c'est d'être au côté de nos familles. Lors d'une manifestation, quand il y a des enfants en bas âge, des parents âgés, nous devons leur faire quitter le village. Et nous, on doit rester en réseau, prendre des nouvelles les uns des autres... »