Il faut aller plus vite, plus loin, plus fort. Voici en substance le message formulé par le Haut-conseil pour le climat, dans son septième rapport annuel, pour tendre vers la neutralité carbone du secteur agricole et le rendre plus résilient au dérèglement climatique. Dans ce document, l’instance indépendante rappelle que ce domaine représente 21 % des émissions de gaz à effet de serre territoriales brutes de la France, liées majoritairement au méthane et au protoxyde d’azote.
Une baisse conjoncturelle
Le rapport reconnaît la baisse de 0,7 % des émissions du secteur entre 2022 et 2023, conforme aux objectifs de la stratégie nationale bas carbone. « Toutefois, après 2030 l’atteinte de la neutralité carbone nécessitera une décarbonation plus rapide du secteur », précise le texte. D’autant que la baisse des émissions constatées sur la période est liée à des facteurs conjoncturels. Cette diminution de 0,5 million de tonnes équivalent CO2 est due principalement à la décapitalisation du cheptel bovin. L’élevage voit ainsi ses émissions diminuer de 2 % par an depuis 2022.
À l’inverse, les émissions des cultures augmentent en 2023 par rapport à 2022. Cette hausse de 0,4 million de tonnes en équivalent CO2 (soit 2 %) s’explique par un recul des prix des engrais minéraux. Leurs coûts avaient fortement augmenté après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Les sols agricoles génèrent des émissions additionnelles en déstockant du carbone, alors qu’ils auraient le potentiel de devenir un puits net de CO2 », regrette le Haut-conseil pour le climat.
Face à ce constat, l’instance appelle à des « changements structurels », faute desquels « la capacité du secteur à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, augmenter le stockage de carbone dans les sols et la biomasse et s’adapter au changement climatique est limitée, générant des risques significatifs de fragilisation des revenus des agriculteurs et des incertitudes pour la souveraineté alimentaire. »
Des conséquences économiques
Selon l’organisme, les crises climatiques ont des conséquences de plus en plus marquées sur la bonne santé du domaine agricole. « Les résultats économiques des exploitations sont en retrait en 2023 et 2024, après deux années de hausse. Ce recul est directement lié aux crises climatiques et concerne la quasi-totalité des filières », alerte le rapport.
Il souligne également que les dommages engendrés par ces crises mobilisent 40 % des dépenses du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, pour indemniser les victimes. « Les dépenses publiques liées aux aléas climatiques ont fortement augmenté ces cinq dernières années et atteignent, a minima, autour de 440 millions d’euros en 2022. »
Action publique insuffisante
Pourtant, malgré ces coûts, les politiques publiques menées en 2024 ne s’orientaient pas vers un modèle plus résilient de l’agriculture. « L’absence d’incitation à l’adaptation par les assureurs est dommageable, alors que le coût de la prévention est bien moindre que celui de l’indemnisation », constate le Haut-conseil pour le climat.
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L’instance épingle également la loi d’orientation sur la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (Losagra). « Cette loi ne donne plus de cap vers l’agroécologie, alors que cette approche systémique constitue l’une des principales options permettant de combiner adaptation et décarbonation, rend optionnel le stress test climatique à l’installation des agriculteurs et encourage la création de réserves d’eau sans analyse suffisante des risques de maladaptation. » Le document s’inquiète également de l’impact de la PPL Duplomb qui pourrait « fragiliser la résilience du secteur agricole face au changement climatique ».
Les financements publics peinent à soutenir une agriculture bas carbone. Sur les 54 milliards d’euros versés au domaine agricole, seuls 9 % contribuent à une transition climatique et écologique. 7 % sont même défavorables à cette transition, principalement des soutiens à la consommation d’énergies fossiles comme le GNR.
Recommandations
Pour contrecarrer cette situation, le Haut-conseil formule six recommandations. Dans les textes déjà. L’instance plaide pour une Pac 2027 qui « mette l’accent sur la santé des sols, l’adaptation aux risques climatiques et à la ressource en eau disponible ». Elle appelle également à « un projet renforcé de stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat ».
Par l’enseignement et la recherche ensuite, pour mieux conseiller les agriculteurs et les « aider à améliorer la résilience de leur exploitation ». Par plus d’équité sociale enfin, pour que les ménages les plus précaires aient accès à des produits favorables à la santé et au climat et que les exploitations les plus vulnérables soient mieux protégées.