Il est indéniable que le changement climatique affectera durablement la production alimentaire à l’échelle mondiale. Toutefois, l’adaptation des modes de production pourra-t-elle permettre de contrebalancer les pertes de rendements annoncées ? Une question souvent controversée.

« Ce ne sont pas les régions les plus chaudes du monde qui tirent le plus fortement les rendements globaux vers le bas. Les 50 % de régions ayant des températures moyennes modérées ont tendance à subir les pertes de rendement les plus importantes et s’adaptent moins bien à la chaleur », constatent plusieurs scientifiques internationaux dans une étude parue dans la revue Nature le 18 juin 2025.

Ils ont ainsi souhaité évaluer l’influence sur la production mondiale de la mise en œuvre d’adaptations par les producteurs, « tels qu’ils sont observés dans la pratique » (1). Par exemple, les changements de variétés, l’optimisation des intrants tels que les engrais, ou bien l’intensité de l’irrigation. Leurs données se sont intéressées à six cultures de base qui couvrent divers climats et contextes socio-économiques à travers le monde, représentant deux tiers des calories cultivées sur la planète.

550 000 milliards de kcal produites en moins

Blé, maïs, riz, soja, manioc, sorgho : toutes les cultures étudiées montrent des pertes de leurs rendements mondiaux d’ici à la fin du siècle, sous l’influence du réchauffement, en tenant compte des bénéfices et coûts de l’adaptation.

Selon les résultats obtenus, la production calorique mondiale chute de 550 000 milliards de kcal par an, pour une augmentation de 1°C de la température moyenne à la surface du globe (TMSG) en 2100. Des pertes de rendements qui représentent une diminution de 120 kcal par personne et par jour, soit –4,4 % de la consommation recommandée pour chaque degré d’augmentation de la température.

Par exemple, un réchauffement de 4°C de la TMSG en l’année 2100 correspondrait à une perte d’environ 17,6 % de la consommation recommandée actuelle par habitant.

« En l’absence d’adaptation, nous prévoyons que les résultats agricoles seraient nettement moins bons », expliquent les auteurs de l’étude. Les projections données tiennent compte des taux d’adaptation des producteurs au changement climatique. Dans le cas d’un scénario « sans adaptation », les pertes mondiales seraient bien plus sévères : 23 % supplémentaires en 2050 et de 34 % à la fin du siècle, dans un modèle de prévisions avec des fortes émissions de gaz à effet de serre (respectivement 6 % et 12 % de pertes supplémentaires pour des émissions modérées).

De –15 % à –25 % dans les principales régions productrices de blé

Le blé devrait ainsi voir ses rendements mondiaux diminuer de 28,2 % d’ici à la fin du siècle dans un scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre (RCP 8.5 (2)), et se réduire de 13,5 % dans un scénario d’émissions modérées (RCP 4.5). « Des pertes qui sont particulièrement homogènes dans les principales régions productrices de blé, de –15 % à –25 % en Europe de l’Est et occidentale, en Afrique et en Amérique du Sud. Elles atteindraient de –30 % à –40 % en Chine, en Russie, aux États-Unis et au Canada. »

L’étude relève tout de même quelques exceptions notables. « Les régions productrices de l’ouest de la Chine enregistrent à la fois des gains et des pertes, tandis que les régions productrices du nord de l’Inde affichent certaines des pertes prévues les plus graves à l’échelle mondiale. »

La Corn Belt sévèrement affectée

En maïs, la perte de rendement mondiale est estimée de –12 % à –27,8 % selon les scénarios. C’est au sein de la Corn Belt, aux États-Unis, que les pertes sont les plus importantes, jusqu’à –40 % de rendement, mais aussi en Chine orientale, en Asie centrale, en Afrique australe et au Moyen-Orient.

À l’inverse, le bilan est positif pour les régions septentrionales, le maïs pourrait y être cultivé avec de meilleurs rendements. En Afrique centrale et en Amérique du Sud, la chute est en partie atténuée (environ –15 %) par l’augmentation des précipitations. En Europe, l’incidence varie, allant de +10 % de rendement dans le Nord à –40 % le long de la Méditerranée.

Les impacts sur les rendements du soja présentent une structure similaire à ceux du maïs, « bien que les amplitudes soient accentuées ». Au global, les pertes sont attendues de –22,4 % à –35,6 % selon les scénarios climatiques. La production pourrait diminuer de 50 % aux États-Unis, tandis qu’elle pourrait progresser de 20 % dans les régions humides du Brésil.

Meilleurs rendements de sorgho en Europe

Le sorgho devrait observer des pertes de rendement de –5,9 % à –21,7 % d’ici à la fin du siècle selon les scénarios. Les pertes sont généralisées dans les principales régions où il est actuellement cultivé. Toutefois, l’étude prévoit des gains dans les rendements de sorgho en Europe occidentale (+28 %) et en Chine du Nord (+3 %).

Inquiétudes pour les populations dépendantes du manioc

Pour le manioc, les pertes sont estimées entre –12,8 % et –29,8 %. Ce dernier devrait avoir « des impacts négatifs uniformes dans presque toutes les régions du monde où il est actuellement cultivé, avec les pertes les plus importantes en Afrique subsaharienne (–40 % dans un scénario de fortes émissions) ». Des pertes qui menacent la sécurité alimentaire dans les pays où le manioc est une culture de subsistance.

Le riz tire son épingle du jeu

Le riz bénéficie de projections moins pessimistes quant à son futur rendement mondial : de –6,0 % dans le scénario avec de fortes émissions de GES (gaz à effet de serre) à –1,1 % dans le scénario aux émissions modérées.

Dans le détail, l’impact de fortes émissions de GES sur les rendements du riz est mitigé en Inde et en Asie du Sud-Est, les principales régions productrices de riz. Dans les autres régions mondiales, les estimations sont généralement négatives (Afrique subsaharienne, Europe et Asie centrale).

La température l’emporte sur les précipitations

Plus que les précipitations, ce sont les changements de température qui dominent les impacts sur les rendements, constatent les auteurs de l’étude, « par le biais des degrés-jours, et de la température minimale pour le riz et le blé ». En outre, « les régions les plus chaudes sont déjà mieux adaptées à la chaleur ». Les cultures dans les régions les plus froides bénéficient du réchauffement.

À noter tout de même que dans les régions équatoriales à forte pluviosité, l’effet de la hausse des températures sur les pertes de rendements est partiellement compensé par l’augmentation des niveaux de précipitations.

« Ces travaux soulignent l’urgence et l’importance d’adaptations pour les cultures, ainsi que l’importance de garantir l’accès aux technologies adaptatives pour les producteurs du monde entier. »

(1) L’étude est fondée sur des données représentatives au niveau mondial et qui tiennent compte des taux d’adoption et de l’efficacité des comportements adaptatifs que les producteurs choisissent d’adopter dans la pratique dans divers contextes environnementaux et économiques. L’analyse économétrique intègre simultanément l’impact combiné des réponses biophysiques des cultures et de la prise de décision des producteurs.

(2) Les RCP (representative concentration pathway) sont des scénarios de référence d’émission de gaz à effet de serre. Le RCP 8.5 est le plus pessimiste, tandis que le RCP 4.5 se fonde sur des émissions modérées.