En 2018, Laurent Fontaine et Sylvain Cherfils, polyculteurs-éleveurs dans la Seine-Maritime, signent leur engagement dans une MAEC « réduction phytosanitaire de niveau 1 », pour une durée de cinq ans. En contrepartie d’une aide financière, ils doivent atteindre des valeurs cibles d’IFT (indicateurs de fréquence de traitement) pour leurs parcelles situées dans le bassin d’alimentation du captage (Bac) d’Yport. Cela représente 11 ha pour Laurent, et près de 40 ha pour Sylvain. Les deux agriculteurs font partie d’un groupe 30 000, porté par le Civam, qui les accompagne.
« C’est une démarche intéressante, face à l’opinion publique, cela permet d’avoir des éléments chiffrés », souligne Sylvain Cherfils. Pour Laurent Fontaine, c’est un moyen de prendre du recul et de préserver sa santé. Chaque année, la MAEC leur impose des seuils progressifs d’IFT herbicides (de 1,6 jusqu’à 1,4) et hors herbicides (de 2,8 jusqu’à 2,3) à ne pas dépasser sur leurs parcelles engagées, qui correspondent à un pourcentage de l’IFT de référence du territoire. Et sur l’ensemble des parcelles non engagées, l’IFT herbicides ne doit pas être supérieur à 2, et à 3,5 pour les IFT hors herbicides. Par ailleurs, maïs, tournesol, prairie temporaire et jachère sont limités à 30 % de la surface engagée.
Nouvelles techniques
Les deux agriculteurs ont adapté leurs pratiques et testé de nouvelles techniques pour répondre à ces exigences, notamment le désherbage mécanique. Ils ont par exemple utilisé une herse étrille et une houe rotative, disponibles en Cuma. Peu familiers de ces outils, ils ont dû apprendre à s’en servir. « On engage le rendement, il ne faut pas se tromper », insiste Sylvain. « Avec la houe, il faut avancer et ne pas regarder derrière l’état du blé, plaisante Laurent. Sur le moment, on se demande si on n’a pas fait d’erreur, mais finalement la culture s’en remet bien. » Avec un bémol : le climat humide de la région laisse peu de créneaux pour passer les outils.
Laurent multiplie par ailleurs les déchaumages. « Entre un colza et un blé par exemple, je fais environ trois passages », illustre-t-il. Il a également testé l’association de cultures, en cultivant du colza avec de la féverole, du fenugrec et de la lentille. « Je ne mets plus aucun insecticide sur mes cultures, décrit-il. Les fongicides ne sont pas systématiques, j’avise en fonction de la pression des maladies. » Sylvain a à cœur de préserver la vie de son sol. Il pratique aussi des associations, limite le travail de ses terres, et s’est essayé au semis direct sous couvert, dans l’objectif de couvrir son sol en permanence.
Bilan en demi-teinte
Si les deux agriculteurs sont parvenus à respecter les seuils d’IFT, leur expérience avec la MAEC s’est soldée par des déconvenues. « La dernière année, j’ai implanté du trèfle sur le Bac qui a compté comme prairie temporaire, raconte Laurent Fontaine. Sur mes 11 ha engagés, j’avais 3,37 ha de trèfle et de maïs. J’ai dépassé de 18 ares la surface autorisée pour ces cultures et on m’a retiré 30 % d’aides. » Celles-ci sont fixées dans le contrat à 117,14 €/ha/an. L’agriculteur a ainsi perdu environ 350 euros, alors qu’il répondait aux exigences d’IFT du cahier des charges. « Mon trèfle était cultivé en zéro intrant. Cela laisse un goût amer », confie-t-il.
Sylvain Cherfils, lui, a dépassé de 1 % la surface autorisée en maïs en 2020. « Sur une parcelle, non seulement on m’a supprimé l’aide, mais on m’a aussi repris les aides que j’avais reçues les années antérieures. On s’engage dans une démarche volontaire, et on se fait sanctionner », s’agace-t-il. Il a également essuyé un revers de médaille. « J’ai tellement essayé de répondre aux objectifs que j’ai toléré trop de salissement, en ray-grass notamment. Aujourd’hui, j’ai des parcelles plus sales qu’avant de m’engager dans la MAEC. Ce que j’ai gagné en IFT durant ces cinq ans, je le paye maintenant. » Pour répondre à sa nouvelle problématique ray-grass, l’agriculteur a ressorti la charrue, pourtant remisée depuis plusieurs années. « Avant de s’engager, il faut faire un état des lieux du salissement et se demander à quel point on peut diminuer ses IFT, prévient-il Les herbicides, c’est ce qui est le plus compliqué à baisser. » Si Sylvain Cherfils ne souhaite plus intégrer de MAEC à l’avenir, il continue à tester des techniques, à faire des couverts, « mais je prends moins de risque », indique-t-il.
« Il faudrait un maximum d’agriculteurs engagés pour avoir plus d’impact au niveau environnemental, mais le manque de flexibilité des MAEC décourage, déplore Laurent Fontaine. Pourtant la démarche est bonne : elle m’a permis de réfléchir à mes pratiques, de faire plus d’observations. Travailler en groupe est aussi motivant. » L’agriculteur regrette par ailleurs le manque de continuité. Alors qu’il était volontaire pour poursuivre la démarche, son exploitation ne correspondait cependant plus aux critères exigés dans la nouvelle mouture des MAEC « réduction de phytos » proposées sur son territoire. « Elles sont ouvertes à ceux qui ont moins de 10 UGB, les éleveurs sont donc exclus », se navre-t-il. Cette année, Laurent Fontaine s’est donc engagé dans un contrat Paiements pour services environnementaux (PSE) pour le maintien de ses prairies permanentes, proposé par l’Agence de l’eau Seine-Normandie. « Les aides sont supérieures à celles des MAEC, alors que je n’aurai presque rien à faire ! », s’étonne-t-il.