À 40 km de l’Italie, en Maurienne, l’arrivée du loup en 1997 a remis en cause les pratiques d’élevage d’Hubert Covarel et de sa femme Marie, organisés en Gaec entre époux à Fontcouverte-La Toussuire, en Savoie. « À l’époque, nos brebis pâturaient l’été en alpage sans protection particulière et sans berger, se rappelle Hubert Covarel. Pris par les foins en contrebas (110 t en quarante jours), je venais voir mes animaux une fois par semaine, ou alors je montais le soir vérifier que tout allait bien. »
Quatre chiens par lot
Ce mode d’élevage en liberté a été brutalement condamné. « Alors qu’officiellement le loup n’était pas sur notre territoire, nous nous sommes rendus compte qu’il nous manquait 60 brebis et agneaux », expliquent les éleveurs.
En 1999, un an après que le loup a été officiellement identifié dans la région, Hubert Covarel a commencé, comme certains de ses collègues, à protéger son troupeau. « Pendant cinq ans, avant que le plan loup ne soit étendu aux Alpes du Nord, il a fallu se débrouiller par nous-mêmes. Avec des financements Emplois-jeunes, nous avons recruté des bergers et nous nous sommes rendus dans le sud de l’Italie pour ramener des chiens bergers des Abruzzes. » D’emblée opérationnels, ils ont donné de bons résultats face au loup.
Tant au niveau des capacités olfactives que de la puissance d’intervention, les chiens de protection s’imposent au prédateur à une condition : qu’ils soient suffisamment nombreux. « Pour une protection efficace dans nos conditions de montagne, il faut un minimum de quatre chiens par lot, souligne l’éleveur. Nous en avons onze, car nos animaux en alpage sont répartis en trois groupes. Avoir autant de chiens revient à gérer un second cheptel. Il faut s’en occuper, les entretenir, les soigner et les aimer. Nous sommes attachés à eux. Ils sont notre assurance tous risques. »
« La présence des chiens protège nos troupeaux du loup et nous a libérés des dégâts provoqués par les grands corbeaux noirs des alpes », explique Hubert Covarel. © Anne Brehier
Grâce aux chiens, le couple fait encore naître aujourd’hui la majorité de ses agneaux en plein air entre fin avril et début mai. Après un passage dans les montagnettes, le troupeau (brebis et agneaux) monte en altitude en suivant la première pousse de l’herbe. Pendant quatre mois, grâce à l’étagement de la végétation entre 900 m et 2 200 m, l’herbe fait du lait et donc de la croissance pour les agneaux. Initialement en texel, les brebis ont fait l’objet d’un croisement par absorption avec du hampshire, une race anglaise herbagère qui donne des agneaux bien conformés. « Dans les secteurs colonisés par le loup, le choix de la race est fondamental, indique l’exploitant. Les brebis doivent être grégaires, avoir l’instinct de se rassembler facilement. »
Outre la protection des troupeaux, il a fallu gérer les problèmes de cohabitation des « patous » avec les randonneurs, nombreux dans ce secteur situé au-dessus de la station de la Toussuire (15 000 lits touristiques).
Apaiser les tensions
La pose de filets électrifiés, quand la nature du sol le permet, ainsi qu’une vigilance des éleveurs concernant la reproduction de leurs chiens a apaisé les tensions. « Les chiens agressifs sont souvent issus de consanguinité », explique Hubert Covarel. Alors que lui-même n’avait jamais eu de patous agressifs, deux de ses chiennes en chaleur ont pincé les mollets de randonneurs ces deux dernières années. « Un mâle avait sailli ses filles pendant cinq ans et j’avais gardé les chiots. C’était une erreur. » L’hiver, les patous sont en bergerie.
À la demande du syndicat intercommunal et de l’office de tourisme, 6 km de filets électrifiés ont été posés par les éleveurs entre le col du Glandon et le Grand Chatelard. À 2 200 m d’altitude, sur une ligne de crête en face de la chaîne de Belledonne, ils isolent les touristes des patous. « Aujourd’hui, les marcheurs montent de moins en moins souvent en alpage avec leurs chiens. Ils nous respectent davantage. »
Toutes ces actions doivent s’inscrire dans la durée. « Car le loup est malheureusement là pour rester. C’est un choix de la société. L’accepter n’est pas une chose facile. Certains éleveurs n’y sont pas parvenus et en sont morts », se désolent Hubert Covarel et son épouse. Leurs efforts ne sont pas vains car la relève est assurée. Le couple a réduit son troupeau de 600 à 435 brebis afin de le transmettre à leur jeune berger, qui sera double actif.