De la Bretagne à l’est de la France en passant par la Normandie, les troupeaux au pâturage sont rares. « Le 4 avril, la portance des sols ne permettait toujours pas d’envisager la sortie des animaux », constate Didier Deleau, responsable de la recherche et du développement à la chambre régionale d’agriculture de l'Alsace, de la Haute-Marne et de la Moselle. Certains éleveurs laitiers parviennent à sortir leurs vaches pendant quelques heures sur les parcelles les moins humides, mais les vaches allaitantes sont toujours dans les stabulations. Même les génisses n’ont pas pu être lâchées.

« Pourtant, la pousse de l’herbe dépasse souvent 40 kg de MS/ha/jour, poursuit-il. De quoi nourrir les troupeaux sans aucune complémentation. Dès que les parcelles seront suffisamment ressuyées, le planning de pâturage devra s’adapter vite. Il faudra concentrer les animaux sur des paddocks plus petits que prévu et déjà prévoir de faucher vite une partie de la surface affectée initialement à la pâture. »

« La paille coûte cher »

« Nous avons lâché nos génisses à la fin du mois de mars, mais nous avons dû rentrer celles de 1 an car elles abîmaient trop les paddocks », indique de son côté Antoine Buteau, ingénieur en fourrages à la ferme expérimentale des Bordes, à Jeu-les-Bois (Indre). Entre le 25 mars et le 4 avril, près de 80 mm de pluie sont tombées dans ce secteur. Les vaches suitées sont donc toujours à l’intérieur alors que la hauteur d’herbe dépasse 20 cm.

La tension est moins marquée en Corrèze. « La sortie des animaux a débuté dans les zones les plus précoces et sur les parcelles les plus portantes », indique Stéphane Martignac de la chambre d’agriculture. Certaines exploitations sont toutefois en retard dans le sud où les sommes de températures atteignent 700°C (base 0 au 1er février) et où le premier tour de pâturage devrait déjà se terminer. En basse Corrèze, à plus de 500 m d’altitude, là où les sommes de température avoisinent 500°C, l’amélioration de la météo à partir du 6 avril a favorisé l’accès aux pâtures.

Dans le Lot, suivant les secteurs, les bovins sortent avec du retard. « D’habitude, les éleveurs n’hésitent pas à lâcher précocement, car la paille coûte cher, constate Laura Gauzin, conseillère à la chambre d’agriculture. Ceux qui envoient des animaux sur des parcelles qui manquent toujours un peu de portance, agrandissent les paddocks pour éviter le matraquage. »

Tout ne sera pas pâturable

En Bretagne, certains éleveurs ont profité d’une accalmie des précipitations à la mi-mars. « Des « fauches rapides » de dérobées récoltées en enrubannage ont été réalisées », observe Françoise Guillois, conseillère et chargée d’étude en fourrages et production laitière auprès des chambres d’agriculture de la Bretagne. Pour autant, la situation reste compliquée dans la région. Samuel Danilo, producteur de lait à Ploërmel, dans le Morbihan, a sorti ses vaches sur des pâtures de cinq ans devant être retournées pour un semis de maïs. « Les animaux ont un peu marqué, mais ce n’est pas très grave. En revanche, j’arrive à bout de ces parcelles. » Au début de la semaine dernière, l’éleveur a été contraint de rentrer son troupeau jour et nuit en bâtiment. « J’avais pourtant bien avancé la transition alimentaire, pour espérer fermer le silo de maïs aux alentours du 10-15 avril », regrette-t-il.

Le constat est similaire en Normandie. Au 4 avril, seuls quelques troupeaux étaient sortis au pâturage. D’après l’observatoire régional de la pousse de l’herbe, « la qualité du déprimage des premières parcelles pâturées n’est pas toujours au rendez-vous. Les hauteurs moyennes dépassent régulièrement les 5 cm et des zones de refus sont déjà visibles. »

Pour Silvère Gelineau, ingénieur en productions fourragères chez Arvalis, deux options aux antipodes sont possibles : recourir à un chargement élevé sur un temps court, ou privilégier un pâturage extensif, à hauteur d’1 UGB par hectare, pour limiter le piétinement. Mais tout ne sera pas valorisable au pâturage. « Il faut se poser deux questions : quels sont les besoins de mes animaux ? À quelle vitesse pourrai-je valoriser cette herbe sur pied (lire aussi l’encadré ci-dessous) ? »

Vigilance lors des fauches

Pour arbitrer entre pâturage et fauche, l’herbomètre est un précieux allié. « Des mesures dans chaque parcelle permettent de prioriser les interventions, conseille le spécialiste. Au-delà de 20 cm de hauteur d’herbe, les surfaces peuvent être fauchées pour être ensuite réintégrées au circuit de pâturage. »

Les coupes les plus précoces sont à réserver aux animaux à fort potentiel, en production laitière ou à l’engraissement. Il convient de rester vigilant sur la présence de terre dans les récoltes. « Les contaminations viennent des opérations d’andainage, explique Silvère Gelineau. Les doigts doivent attraper le fourrage sans gratter le sol ». Les coupes trop rases et le regroupement d’andains sont également à éviter. « Un fourrage suffisamment sec limite les développements bactériens. »