Il y a 80 ans, en mai 1945, notre père, Louis Longrais, revenait de cinq ans de captivité en tant que prisonnier de guerre. Avant-guerre, il cultivait des légumes, avec sa femme Maria, sur une vingtaine d’hectares à Cancale (Ille-et-Vilaine), avec cinq vaches, deux chevaux et deux cochons. Âgé de 30 ans et sans enfant, il a été mobilisé dès septembre 1939. Il a vécu ce qu’on appelle « la drôle de guerre » dans l’est de la France, tandis que sa femme, enceinte, restait seule sur la ferme. Il n’a eu droit qu’à seulement huit jours de permission à la naissance de leurs jumelles en février 1940.
Notre père a été fait prisonnier à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin) en juin 1940. Il a été envoyé dans une usine à Ludwigshafen en Allemagne. Les premières années de captivité ont été les plus dures, marquées par la faim, les mauvais traitements et les bombardements. Par deux fois, il a frôlé la mort : d’abord enseveli sous des gravats après une explosion, puis empoisonné par de la nourriture volée. Il y est resté jusqu’en 1943, jusqu’à ce que l’usine soit quasiment rasée. Il a ensuite été transféré dans une ferme en Bavière. Là, il fut moins malheureux, mais toujours mal nourri et sous le joug d’hitlériens convaincus.
Pendant ce temps-là, notre mère a tenu bon, seule à la ferme, avec deux petites filles. Elle recevait peu de nouvelles de son mari, aucune en 1942. Elle avait une force de caractère incroyable, aidée par sa famille et des ouvriers. En 1943, sans hésiter, elle a traversé la Bretagne sous les bombes pour rejoindre l’hôpital de Nantes et sauver l’œil d’une de ses filles.
À son retour, notre père a très peu parlé de sa détention. Il ne répétait qu’une chose : qu’on lui avait volé ses plus belles années. Il se mettait en colère quand les gens se plaignaient de peu, lui qui avait tant souffert. Après-guerre, il a refusé l’aide de prisonniers allemands. Et jamais, nous n’avons cuit de rutabagas, pas même pour les cochons. L’odeur qu’il associait à ce qu’il avait mangé en captivité, le dégoûtait.
Mai 1945 a été pour notre famille le début d’un nouveau chapitre, bien plus joyeux, notamment avec la naissance de Geneviève en 1946. Aujourd’hui, 80 ans après, nous nous souvenons avec fierté de notre père qui a donné près de huit ans de sa vie à la France, deux ans de service militaire et six ans comme soldat, et de notre mère qui l’a nourrie.