Cécilia Aguirre est animée par « la création du beau », le contact avec la terre et la transmission. Son parcours atypique a mené cette femme de 55 ans, éprise de liberté, toute en discrétion et ouverte au monde, à concilier ses trois mantras. « J’aime le textile, pas la mode ni le stylisme, précise-t-elle, mais le tissu. En tant que restauratrice du patrimoine, j’avais l’impression de travailler sur du mort. Je voulais ajouter du vivant. En 2005, j’ai creusé le sujet de la teinture végétale que j’avais dans un coin de ma tête depuis la naissance de ma fille alors que j’étais en première année de l’Institut national du patrimoine. »

La teinture de synthèse, pourtant « vrai progrès à l’époque, engendre beaucoup de problèmes de santé et de pollution des eaux ». Elle part ainsi en Inde rencontrer des artisans, scientifiques et agriculteurs. À son retour, le laboratoire scientifique des Monuments historiques se montre intéressé par cette technique naturelle. Pour se perfectionner, elle voyage avec son mari et leurs deux enfants pendant un an au Brésil, au Mali et en Inde. Cécilia partage ensuite son savoir-faire avec des collègues restauratrices pour essaimer cette « conscience écologique ».

Première Amap en France

« Aujourd’hui, nous sommes inondés de couleurs alors qu’au XIXe siècle, c’était un luxe, rappelle-t-elle. On a perdu la notion de leur valeur. » Pour être autonome et se rendre compte de l’énergie que demande l’obtention du bleu, du rouge ou du jaune, elle décide de cultiver ses plantes tinctoriales sur un terrain familial de 3 ha à Longvilliers (Yvelines) en créant en 2017 la microferme des Lilas.

Même si celle qui pratique le yoga et la méditation apprécie la solitude, elle ne voulait pas rester « toute seule dans son champ » et souhaitait produire pour elle « mais surtout pour d’autres ». Artisans, créateurs et particuliers passionnés de teinture naturelle décident de créer l’Amap Tinctilis, la première de plantes tinctoriales en France en 2019. La cinquantaine d’adhérents participe à la plantation, à la récolte ou à la transformation du bleu. Cécilia, pédagogue, ne se lasse pas de cette dernière étape.

Les yeux pétillants, elle explique la réaction chimique qui s’opère sur feuilles fraîches pour passer de la persicaire à indigo ou du pastel des teinturiers à une pâte bleue, « comme de la magie ». À la ferme ou par envoi postal, elle propose de la gaude (pour fabriquer du jaune), des racines de garance des teinturiers (rouge), des cosmos sulfureux ou coréopsis des teinturiers (orange) hachés et séchés. Pour Cécilia qui allie les métiers d’agricultrice et de restauratrice du patrimoine, tout se joue sur le temps long, et la patience est le maître mot.