Ce vendredi du début de janvier, nous étions tous convoqués pour une réunion par le PDG de la sucrerie. Nous savions que ce n’était pas pour annoncer de bonnes nouvelles. L’usine avait déjà suspendu sa production à l’automne précédent pour des problèmes de fabrication. J’y suis allé, inquiet, avec un sentiment de gâchis, presque d’amertume. D’incompréhension, voire d’injustice aussi. Un peu comme si je me rendais à l’enterrement d’un proche.

Même si nous nous y attendions, l’annonce du PDG de la sucrerie familiale, visiblement très ému, a été un choc, comme un couperet qui tombait. Après 150 ans de bons et loyaux services, l’usine allait fermer ses portes. C’était la fin d’une histoire, de notre histoire. Certains, comme moi, ont eu la gorge nouée. En voyant l’usine, en écoutant le PDG expliquer qu’il faudrait des millions d’euros pour la remettre en état.

En prenant du recul, je me suis aperçu que je n’étais pas à l’enterrement d’un jeune, mais bien à celui d’une vieille dame. Elle avait fait sa vie, au service de l’agriculture et d’une filière en particulier. Elle était allée au bout. C’est tout. Et comme à un enterrement, après la cérémonie, nous nous sommes retrouvés entre nous, membres d’une même famille. Je n’avais pas vu certains depuis longtemps, nous étions contents de nous recroiser. En théorie, personne n’avait rien à se dire de spécial. Pourtant, nos échanges se sont éternisés. Nous avions du mal à nous quitter. Je crois qu’on essayait de repousser au maximum le moment de se dire au revoir, comme pour prolonger un peu ce moment suspendu, avant que tout ne s’arrête.

Mais il a bien fallu rentrer à la maison, avec plein de questions en tête, notamment sur l’avenir. Dès le lundi qui a suivi, deux coopératives nous proposaient de les rejoindre. Elles nous ont parlé des contrats, des engagements des agriculteurs sur un volume. Mais rien sur les prix. Nous n’avions pas été habitués à ça ! Signer un contrat sans prix, d’autant plus avec une coopérative, me laisse dubitatif.

Finalement, quand je travaillais avec une usine privée, j’avais le sentiment de faire partie d’une famille. Alors que là, en rejoignant une coopérative, j’ai l’impression de faire face à des industriels.

(1) Le prénom a été changé.