En 1975, pendant que deux Américains, devenus célèbres, bidouillaient dans leur garage les premiers ordinateurs, Emile Ryckeboer concoctait une innovation qui allait changer le quotidien des Français. Dans son hangar de Geffosses (Manche), l’agriculteur, arrivé des Flandres après-guerre, entreprenait de mettre les légumes hors calibre et les poireaux dans des barquettes plastifiées, pour améliorer son revenu. Il était en train de développer la quatrième gamme alimentaire. Le vrai succès n’intervient qu’en 1984, quand le maraîcher présente, au Sial (1), une solution innovante permettant de conditionner et de conserver la salade en sachet plastique.

« Les investisseurs se sont bousculés pour s’associer avec moi. Mais je leur ai préféré la coopérative locale, la Casam, devenue Agrial (2). Ma seule condition était de structurer la production sur la base de contrats, avec des calendriers de livraison et des prix garantis. C’était une révolution dans le marché du frais. Je voulais que les paysans profitent de l’organisation de la production », relate-t-il.

Préférence à la coop

L’homme s’était déjà fortement investi localement pour améliorer le revenu des agriculteurs : création d’une banque de travail, mise en place d’un congélateur collectif, remembrement… Mais il voulait aller plus loin. « Le manque de valorisation de nos produits était préoccupant. Or, nous avions toutes les cartes en main pour réussir, à commencer par un quasi-monopole sur le marché de la carotte en hiver », se souvient Emile. Semoir à betteraves transformé en semoir à carottes, coupe blanc de poireaux inspiré du coupe ortie, ou ensacheuse à bonbons revue pour la salade… Le bricoleur bouillonnait d’idées. « Lecteur assidu de La France agricole, j’avais à cœur d’innover, certes avec des échecs, mais cela m’a toujours permis d’avancer », raconte-t-il dans son autobiographie. Visionnaire et persévérant, il a cru dans les légumes en sachet malgré la méfiance des scientifiques sur l’aspect bactériologique. Après avoir développé son invention, puis être devenu chef d’entreprise, il a pris sa retraite. À 84 ans, il voyage et sculpte la pierre de Caen.

Alexis Dufumier

(1) Le Salon international de l’alimentation. (2) Dont Florette est aujourd’hui la filiale.