Aujourd’hui, Bernard Ya Mboua souffre d’une crise de goutte et ne peut aller aux champs. Sinon, il n’aurait pas accepté le reportage, faute de temps ! Le travail de cette terre arrachée à l’Amazonie par ses parents l’accapare, car la forêt reprend vite ses droits sur les parcelles cultivées. Sa famille est arrivée en Guyane en 1977 avec cinq cents autres fugitifs du régime communiste du Laos. Il avait quatre ans : « Je me souviens encore des camps en Thaïlande. » De Bangkok à Cacao en Guyane, le long voyage se termine dans le hangar désaffecté d’un ancien aérodrome en pleine jungle. En six mois, les Hmongs ont défriché la forêt et construit un village. Bernard Ya va à l’école et accompagne ses parents aux champs. « Je n’ai pas eu besoin de formation agricole ! », dit-il en riant.

Beaucoup de plants ont brûlé

Après son bac, il devient militaire, puis travaille dans l’éducation nationale, mais lorsque ses parents prennent leur retraite, Bernard Ya revient au village. Avec sa compagne Ho Long, il reprend 15 hectares qui sont à défricher. L’objectif n’est plus de produire pour survivre, mais pour répondre à la demande du marché. Les époux plantent 7 hectares d’arbres fruitiers : mandariniers, ramboutans, citronniers…, et pratiquent le maraîchage sur 7 autres hectares : chou chinois, concombre… Ils n’ont pas de serres, ils cultivent sur billons, avec un système de rotation pour bichonner des sols que leurs parents ont épuisés. « Ils n’avaient pas le choix, le terrain était pauvre et il fallait nourrir les familles », confie l’agriculteur, qui suit des formations pour un emploi raisonné des produits phytosanitaires. Il sait qu’il doit laisser reposer la terre et la nourrir après chaque récolte avec des fientes de volailles. Mais Ho Long est soucieuse : « Il n’a jamais fait aussi chaud, après le semis beaucoup de nos plants ont brûlé cette année. Comment feront nos enfants pour gérer ce réchauffement climatique ? »

Le soir tombe, la question de la transmission s’efface derrière l’urgence du quotidien. La saison sèche s’achève, mais il faut encore irriguer les champs. Bernard Ya est fier de montrer les gicleurs importés de Thaïlande. Demain, comme trois fois par semaine, les exploitants se lèveront à l’aube pour se rendre au marché de Cayenne, à 70 km, avec 300 kg de fruits et légumes de toutes sortes. Une production dont ils souhaitent renforcer la diversité et la qualité, « pour avoir un bel étal qui attire les clients ».

Maria Gonzalez