Dans deux arrêts publiés le 25 avril 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a répondu à des demandes soulevées dans le cadre d’un litige opposant Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) et le Conseil pour l’autorisation des produits phytopharmaceutiques et biocides des Pays-Bas (CTGB).
En 2019, PAN Europe avait déposé trois plaintes devant un tribunal néerlandais contre la réautorisation de Closer (sulfoxaflor), Dagonis (difénoconazole) et Pitcher (fludioxonil). L’ONG estimait que, dans tous les cas, le CTGB « n’a pas utilisé les connaissances scientifiques les plus récentes dans le cadre de l’évaluation des risques liés aux pesticides », rapporte-t-elle dans un communiqué diffusé le 25 avril 2024. PAN Europe reprochait par ailleurs au CTGB d’avoir ignoré « les lignes directrices les plus récentes pour évaluer les perturbations endocriniennes, ou la toxicité pour les abeilles. »
Prendre en compte les données récentes
En 2022, le tribunal néerlandais avait ainsi posé des questions à la CJUE. Cette dernière établit que rien n’empêche les autorités nationales compétentes, lors de l’examen d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un produit phyto « de vérifier si, dans l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, ce produit n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine. »
La CJUE juge que tout demandeur souhaitant mettre un produit phyto sur le marché peut s’attendre à ce que l’état des connaissances scientifiques ou techniques soit modifié durant la procédure d’autorisation ou au cours de la période pour laquelle une substance active est approuvée ou un produit phyto est autorisé. Elle ajoute que « dès lors, la prise en compte d’une connaissance scientifique ou technique pertinente et fiable qui n’était pas encore accessible au moment de l’introduction de la demande d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique, ne saurait être considérée comme étant contraire au principe de sécurité juridique. »
« Ces décisions mettent fin à la pratique courante consistant à ignorer les connaissances scientifiques récentes et à donner la priorité aux études industrielles vieilles de plusieurs décennies », interprète PAN Europe.
Évaluer les propriétés de perturbateur endocrinien
Selon la CJUE, « l’autorité compétente d’un État membre chargée d’évaluer une demande d’AMM d’un produit phytopharmaceutique est tenue, lors de l’examen de cette demande, de prendre en compte les effets indésirables que les propriétés perturbant le système endocrinien d’une substance active contenue dans ledit produit sont susceptibles de causer sur l’être humain, compte tenu des connaissances scientifiques ou techniques pertinentes et fiables qui sont disponibles au moment de cet examen. »
« La Cour européenne a clairement indiqué que les formulations de pesticides doivent être testées pour leurs propriétés perturbatrices endocriniennes, et pas seulement pour leurs substances actives, analyse Hans Muilerman, coordinateur de PAN Europe. La Cour a également précisé qu’en l’absence de lignes directrices harmonisées, les autorités de régulation doivent utiliser les données scientifiques les plus récentes. »
Évaluation par d’autres États membres
Selon la CJUE, l’État membre qui prend une décision concernant l’AMM d’un produit phyto peut s’écarter de l’évaluation scientifique des risques concernant ce produit réalisée par l’État membre examinant la demande d’une telle autorisation. Cela, « notamment lorsqu’il dispose des données scientifiques ou techniques les plus fiables, dont ce dernier État membre n’a pas tenu compte lors de la préparation de son évaluation, qui identifient un risque inacceptable pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement. »
Concrètement « la Cour de l’UE a précisé que les États membres ne peuvent pas utiliser aveuglément l’évaluation scientifique réalisée par d’autres États membres, analyse Hans Muilerman. Ils doivent notamment veiller à ce que les connaissances scientifiques et techniques les plus récentes soient prises en compte, ce qui ce n’est généralement pas le cas. »
Par ailleurs, la CJUE rappelle que lors de la délivrance des autorisations de mise sur le marché de produits phytos, « l’objectif de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement “devrait primer” l’objectif d’amélioration de la production végétale ».