L’Australie s’inquiète pour le moral de ses agriculteurs. Selon une enquête menée en 2023 pour la coopérative agricole Nocro en partenariat avec la National Farmers’ Federation (NFF), 45 % des agriculteurs se sont sentis déprimés dans l’année précédente. Une étude antérieure montrait qu’en 2018, le taux de suicide était presque le double chez les agriculteurs par rapport aux autres professions.
Les nouvelles technologies n’ont pas permis de rapprocher des agriculteurs dont le premier voisin se trouve parfois à des kilomètres. « D’une certaine manière, nous n’avons jamais été aussi connectés, mais il y a encore beaucoup à redire sur l’interaction en face-à-face, déplore le président de la NFF, David Jochinke. Les services de santé et de santé mentale doivent être adaptés à l’agriculture et au bush. »
Un éleveur survivant
Pour lui comme pour beaucoup, la crise a commencé par une sécheresse, il y a vingt ans. John Harper est entré dans cet événement d’une durée exceptionnelle comme éleveurs de moutons, grand et solide. Il en est ressorti en dépression. Quadragénaire, il avait décidé de prendre sa retraite au beau milieu de cette crise.
« Mon cerveau avait l’image de John Harper, un bon gros dur à cuire, qui pouvait tondre toute la journée et ramener de l’argent puis, en prenant ma retraite, je ne gagnais plus d’argent et je ne me sentais plus grand et fort, raconte-t-il avec la verve fleurie du bush australien, depuis un village reculé à mi-chemin entre Sydney et Melbourne. J’avais 42 ans, j’étais censé être assez fort pour sortir faire pisser un taureau », s’exclame-t-il. Il entre dans une spirale : il bat son chien, hurle sur ses enfants, son couple bat de l’aile…
Discuter de ses problèmes, avec des amis et des professionnels, l’écarte finalement de cette pente fatale. Depuis, il ne lâche pas son bâton de pèlerin. Son association : Mate Helping Mate (Un pote qui aide un pote, en Français). A travers un podcast, il aborde les sujets de santé mentale, prodiguant des conseils, à partir d’expériences vécues, pour aider son voisin ou soi-même. Les enregistrements en public des épisodes dans des villages reculés font événement et amorcent des conversations dans les communautés.
Des « Docteurs volants » à la rescousse
Les Flying Doctors (RFDS) — service de médecine réputé pour ses déplacements en avion dans les coins les plus reculés du pays — offrent un service de santé mentale. Les psychologues peuvent ainsi se déplacer au plus près de la personne en demande. « La question du lien entre éloignement et isolement est intéressante, pondère Jos Middleton, responsable de l’équipe de la santé mentale de RFDS pour le nord de l’Etat du Queensland. Les habitants du bush peuvent se sentir moins isolés qu’en ville car ils ont davantage le sens de la communauté. »
Ces médecins volants constatent une activité plus forte après chaque épisode climatique extrême. Et ceux-ci sont nombreux dans un pays régulièrement dévasté par les inondations, les sécheresses et les feux de forêt. Les programmes se multiplient alors pour aider les agriculteurs australiens à faire face à ces défis de plus en plus grands.