La discussion ne s’est pas vraiment passée comme prévu. Dans une Assemblée nationale fragmentée, l’examen de la proposition de loi visant « à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire » a été animé, ce lundi 17 mars 2025, et la majorité l’a laissé se dérouler sans elle.
Portée par Stéphane Travert (Ensemble pour la République, majorité) et Julien Dive (Les Républicains), la proposition de loi a finalement été adoptée par 137 voix pour, et 4 contre sur 181 votants avec les abstentions de la majorité… Pourtant à l’origine du texte.
Chaque groupe parlementaire a sorti sa carte joker durant les 4h30 de discussion, et en particulier le député communiste André Chassaigne. Son amendement visant à instituer un coefficient multiplicateur, dispositif prôné depuis longtemps par le Modef, a été adopté avec les votes du Rassemblement national. Raison pour laquelle Olivia Grégoire, porte-parole du groupe Ensemble pour la République, a annoncé que « ce sera une abstention pour notre groupe ».
Coefficient multiplicateur pour encadrer les marges
« Depuis plus de 20 ans, je me bats sur chaque projet de loi, sur chaque proposition de loi qui porte sur l’agriculture, sur le coefficient multiplicateur. Je n’allais pas penser qu’à deux semaines de la fin de mon mandat de parlementaire j’allais remporter une victoire aussi considérable ! » s’est de son côté exclamé André Chassaigne, s’offrant une « leçon de parlementarisme ».
Le coefficient multiplicateur devrait agir « entre le niveau minimal d’achat et le prix de revente des produits agricoles », dans un objectif de limiter les marges de la grande distribution. Il devra être calculé par les ministères de l’Agriculture et de l’Économie chaque année, « après consultation et avis des conférences publiques de filière », indique la proposition de loi.
SRP + 10 jusqu’en 2026
Le texte voté en commission prévoyait de prolonger jusqu’à 2028 l’obligation d’appliquer un seuil de revente à perte de 10 %, dit « SRP + 10 » pour certains produits de la grande distribution. Autrement dit, le SRP + 10 instaure l’obligation d’un minimum de 10 % de marge pour les distributeurs pour les produits alimentaires, excepté les fruits et légumes.
« L’idée était qu’obliger la grande distribution à dégager une certaine marge, […] sur la vente de produits d’appel, lui permettrait d’alléger la pression exercée sur le prix d’autres produits agricoles et alimentaires », éclaircit la ministre chargée du Commerce, Véronique Louwagie. In fine, cette mesure est censée soutenir une meilleure rémunération agricole, plaident ses défenseurs.
Les élus du Palais-Bourbon ont finalement souhaité que le SRP + 10 soit prolongé seulement jusqu’au 15 avril 2026 pour contrer le manque de « données fiables » sur la question.
L’imperfection du SRP + 10 fait consensus à l’Assemblée, mais son maintien — faute de mieux — l’est tout autant. Car les acteurs de la grande distribution « anticipent que si le SRP + 10 est retiré, une nouvelle guerre des prix, très intense, se déclenchera du jour au lendemain », prédit la ministre du Commerce, consciente qu’il n’est « pas parfait ». Un problème : « Nous n’avons pas les moyens de l’évaluer ! » déplore la présidente de la commission des affaires économiques Aurélie Trouvé (la France insoumise).
Renforcement du contrôle
Les députés ont donc voté un amendement socialiste pour que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les marges brutes réelles des distributeurs, détaillé par catégorie de produits alimentaires, confié à l’Inspection générale des finances.
Un autre amendement porté par Mathilde Ignet (LFI) vise à obliger les distributeurs et fournisseurs à publier les taux de marges dans les documents transmis au gouvernement, en particulier ceux sur les produits biologiques. Tandis que les principaux acteurs de l’agroalimentaire devront désormais communiquer leurs marges brutes à l’Observatoire de la formation des prix et des marges après le vote d’un amendement de la majorité.
La sanction concernant les fournisseurs et distributeurs qui ne respectent pas cette obligation a également été alourdie (amendements déposés par LFI, écologistes et socialistes). De 375 000 € pour une personne morale (votée en commission), l’amende est passée à 1 % de son chiffre d’affaires annuel hors taxe.
L’encadrement des marges des produits droguerie, parfumerie et hygiène (DPH) a aussi été maintenu jusqu’en 2028 mais élargi à 40 % à partir de juillet 2025, pour « éviter un retour brutal à un marché totalement dérégulé [et] préserver le pouvoir d’achat », soutient l’exposé de l’amendement porté par Julien Dive.
Un rapport gouvernemental sur l’encadrement des marges est déjà prévu à l’automne, a fait savoir la ministre du Commerce. La proposition de loi, nettement modifiée par les députées de l’opposition, devra, elle, poursuivre sa route au Sénat, sans garantie que les mesures votées passeront la porte du palais du Luxembourg.