« Retard inhabituel », « niveau de tension extrême », « moral au plus bas » : à dix jours de la clôture des négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs agroalimentaires, l’ensemble des parties prenantes a reconnu le 18 février des difficultés accrues cette année.

Chaque année entre le début de décembre et le 1er mars, la grande distribution négocie avec ses fournisseurs de l’industrie agroalimentaire, des PME aux géants du secteur, les conditions (prix d’achat, place en rayon, calendrier promotionnel…) auxquelles elle va lui acheter une large partie des denrées vendues dans ses rayons pour le reste de l’année.

« Les signaux ne sont pas positifs »

Le deuxième comité de suivi qui s’est tenu mardi matin sous l’égide des ministres de l’Agriculture et du Commerce a été « aussi tendu que le sont les négociations », affirme Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole. L’Association nationale des industries alimentaires (Ania), principal lobby du secteur, a fait part d’un retard inhabituel dans la signature d’accords commerciaux et s’est félicité que la ministre de l’Agriculture Annie Genevard ait « tapé du poing sur la table » face à une grande distribution qui demande des baisses de prix « insoutenables » aux fabricants agroalimentaires.

La ministre avait déclaré à La Tribune dimanche vouloir « corriger certains dysfonctionnements relationnels » avec la grande distribution qui exerce « une pression déraisonnable sur les prix ». Interrogée quelques jours plus tôt par La France Agricole, Annie Genevard s’était montrée « préoccupée ». « Les signaux ne sont pas positifs. Partout me remontent des difficultés concernant les relations avec la grande distribution avec des exigences déflationnistes, avec des tentatives de détournement d’Egalim et avec une fragilité possible de la transformation », avait-elle indiqué.

Des négociations qui traînent avec les grands groupes

Layla Rahhou, déléguée générale de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), pointe « la responsabilité de l’État dans la dégradation des relations pendant les négociations ». « C’est particulièrement dur, parce que le moral des entreprises est au plus bas, donc forcément cela tend les choses », ajoute-t-elle, accusant les géants de l’agroalimentaire de repousser les signatures jusqu’à la dernière minute pour faire « pression » sur les distributeurs.

Elle affirme que près de 90 % des contrats avec les PME ont été signés, contre 40 % avec les grands groupes. Le 17 février, Pact’Alim, l’organisme représentant PME et entreprises de taille intermédiaire de l’alimentation, avait alerté sur des « négociations très dégradées » et un doublement des « menaces de déréférencement » de la grande distribution.

« Déflation » impossible

« Les négociations cette année semblent plus tendues », a reconnu le ministère du Commerce à l’issue du comité de suivi. Selon le ministère, les distributeurs « ont déploré que les industriels demandent des hausses de tarifs qui ne leur semblent pas corrélées à l’augmentation des cours des matières premières qu’ils constatent ».

La hausse des prix s’est apaisée ces derniers mois. Mais le budget des consommateurs reste globalement sous tension et les supermarchés se livrent une concurrence féroce pour les attirer. Les industriels agroalimentaires mettent de leur côté en avant des hausses de coûts liées à la matière première agricole, aux salaires, à l’énergie ou aux emballages.

« La grande distribution regarde le prix de l’énergie à un instant T et oublie que certains contrats de fourniture sont conclus sur plusieurs années », affirme l’Ania. « On a joué le jeu l’année dernière en baissant les prix, mais en 2025, on ne peut pas assumer de déflation. »

« Ajuster » la loi Egalim

La ministre de l’Agriculture a annoncé dimanche vouloir « ajuster » la loi Egalim, censée garantir une meilleure rémunération des agriculteurs en encadrant davantage les négociations commerciales, et « protéger en partie aussi la matière première industrielle ». Elle avait indiqué à La France Agricole qu’elle espérait que ce texte aboutisse avant l’été.

Le renforcement de cette loi et la prolongation du SRP +10 % (NDLR : un seuil de revente à perte relevé de 10 % pour les produits alimentaires qui devait se terminer au 15 avril) également promise par la ministre ne suffira pas pour la FNSEA. Dans un communiqué du 19 février, le syndicat demande « une intervention forte et immédiate de l’État et exige le renforcement des contrôles pour garantir l’absence de contournement des règles par le déplacement des centrales d’achat et la sanctuarisation de la matière première agricole, tant sur les marques nationales que sur les marques de distributeurs (MDD) ».

Dominique Chargé constate également « une impossibilité à faire respecter la loi » Egalim sur la matière première agricole, qui prévoit par exemple que, si le coût de production du lait augmente, l’industriel le paye plus cher et les supermarchés aussi. Selon lui, la grande distribution tente de contourner la loi en délocalisant les négociations à l’écart du droit français grâce à ses centrales d’achat européennes.

Du côté de la FCD, Layla Rahhou affirme que le problème réside dans le « décrochage » de la filière alimentaire française par rapport à ses voisins européens, « plus compétitifs ». Aucun patron de la grande distribution n’était présent au comité de mardi mais plusieurs ont annoncé une conférence commune au Salon de l’agriculture la semaine prochaine, à l’invitation de l’animatrice Karine Le Marchand. « L’amour est peut-être dans le pré, mais pas dans les salles de négociations », avait ironisé François-Xavier Huard, président de la Fédération nationale de l’industrie laitière, en référence à l’émission présentée par l’animatrice sur M6.