Avancer les négociations commerciales oui, si c’est pour passer des baisses de prix ! Mais les signaux reçus par les enseignes de la grande distribution ne vont pas dans ce sens. C’est la position de plusieurs acteurs de la grande distribution (1) auditionnés par les députés de la commission des affaires économiques, le 20 septembre 2023. Carrefour, Système U, Leclerc, Intermarché sont réservés concernant l’impact sur les prix de l’avancée des négociations commerciales proposée par Bruno Le Maire.

Des demandes de hausses de 5 à 15 %

Le ministre de l’Économie avait annoncé au début de septembre qu’un projet de loi serait déposé rapidement pour avancer la date butoir des négociations commerciales à la mi-janvier 2024. Celle-ci est habituellement fixée à la fin du mois de février. L’objectif du gouvernement : faire baisser les prix dès le mois de janvier 2024.

« Nous sommes prêts à anticiper les négociations de 2024 si une loi le propose, sauf que pour accélérer les négociations il faut être deux, et concernant les 75 plus grands fournisseurs, un seul, au moment où je vous parle, nous a envoyé ses tarifs pour 2024 et l’augmentation proposée c’est 10 % », s’est inquiété Thierry Cotillard, président du groupement Les Mousquetaires. Il estime que les tarifs qui seront annoncés pour « commencer les négociations » seront sur la base d’une hausse de 5 à 15 % selon les produits.

Un constat partagé par Dominique Schelcher, P-DG de système U. « De notre côté, la proposition d’avancer la date des négociations est très intéressante, mais si on avance les négociations, il faut que cela se transforme en un mieux pour les consommateurs. Or aujourd’hui, les premiers signaux que nous avons de nos fournisseurs, ce sont des demandes de tarifs à la hausse. »

Philippe Michaud, coprésident de l’enseigne Leclerc, alerte également sur le manque de stabilité législative. « On parle d’une énième loi, sans avoir eu le temps de constater les effets des précédentes », soulève-t-il.

Se libérer de la date butoir

Pour Dominique Schelcher, il faudrait même « se libérer de la contrainte de la date butoir qui imprime une grande tension » pour les négociations avec les grandes marques. Il propose de « négocier tout au long de l’année avec une contractualisation et un cadre à définir avec les grandes multinationales, mais peut être garder la date butoir pour les petites entreprises qu’on veut bien protéger et avec lesquelles on n’a pas du tout les mêmes discussions. »

Les industriels sous le poids des charges

Et le président de l’Adepale (Association des entreprises de produits alimentaires élaborés) en a remis une couche. « Dans un contexte d’inflation très forte, il n’est pas certain qu’avancer les dates de négociations entraîne la baisse des tarifs », insiste Jérôme Foucault.

« Si certaines matières premières agricoles ont baissé, les huiles, les céréales… D’autres ont flambé, le sucre, le porc, le riz, les lentilles… », rappelle-t-il. Et de citer aussi l’augmentation des tarifs de la matière première industrielle (énergie, emballage…), le coût des crédits qui augmente, les hausses consenties de salaires et les coûts liés au recyclage des emballages.

La fédération des entreprises et entrepreneurs de France (Feef) confirme. « Nos prix de revient continuent d’augmenter », renchérit Léonard Prunier, président de la Feef. Ce dernier prône pour « la différentiation dans la manière d’aborder les négociations » pour les 22 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), qu’il représente. « Nous avons besoin de visibilité, de clarté, prévient-il. Si les règles du jeu change, nous avons besoin de le savoir rapidement. »

Le projet de loi sera présenté en conseil des ministres du 27 septembre 2023. Il sera débattu à l’Assemblée nationale au début du mois d’octobre a indiqué, le président de la commission, Guillaume Kasbarian.

(1) La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a auditionné, le 20 septembre 2023 : Alexandre Bompard, directeur général de Carrefour, Dominique Schelcher, président-directeur général de Système U, Philippe Michaud, coprésident du groupe E. Leclerc, Thierry Cotillard, président du groupement Les Mousquetaires, Jérôme Foucault, président de l’Adepale, Richard Panquiault, président-directeur général de l’Ilec, Léonard Prunier, président de la Feef, et Miloud Benaouda, président-directeur général de Barilla France.