La période des négociations commerciales sur les produits alimentaires de grande consommation s’est terminée le 1er mars 2023 à minuit, dans un climat de tension exacerbé par l’inflation. Si les chiffres exacts ne sont pas encore connus, distributeurs et industriels s’accordent sur une estimation de la hausse moyenne des prix négociée à 10 %. Le 3 mars 2023, Thierry Dahan, le médiateur des relations commerciales, a indiqué, lors d’une table ronde organisée au Salon de l’agriculture par le cabinet d’avocats Tactics, qu’il enregistrait 70 dossiers en litige à l’issue des négociations.
C’est « un niveau un peu supérieur à l’an dernier », a-t-il estimé. En 2022, un total de 194 dossiers est entré en médiation, dont une soixantaine sur les deux premiers mois de l’année, a-t-il précisé et seulement 30 à 40 dossiers durant les années précédentes, avant l’entrée en vigueur de la loi Egalim 2. « Globalement, c’est une petite déception pour nous », a regretté le médiateur. Son équipe et lui-même espéraient que la hausse des médiations enregistrée en 2022 était due à l’entrée en vigueur récente de la loi Egalim 2, ainsi qu’au contexte géopolitique. Ce qui ne semble pas être le cas.
Pas de litige sur la matière première agricole
Thierry Dahan relève pourtant un point très positif, « la sanctuarisation de la matière première agricole est aujourd’hui entrée dans les mœurs. Très peu de conflits » arrivent en médiation sur un sujet en lien avec la prise en compte de la matière première agricole une fois que les acteurs se sont mis d’accord sur les modalités de calcul, a-t-il fait savoir. Et d’ajouter que les négociations se sont reportées sur « tous les coûts qui ne sont pas agricoles », notamment sur celui de l’énergie qui a beaucoup augmenté pour les industriels.
C’est un point qu’a confirmé, Marie Buisson, directrice juridique de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). « Les négociations ont été très compliquées sur la matière première industrielle. Or les industriels ont fait face depuis la sortie de crise du Covid à une "inflation extrême" sur les intrants non agricoles, comme le transport, l’emballage et l’énergie en 2023 », a-t-elle relevé.
Les distributeurs sous pression
Du côté de la grande distribution, l’heure est à l’inquiétude. Les enseignes doivent pouvoir « dégager des capacités d’investissement, tout en intégrant "l’inflation galopante", pour faire face à des "enjeux extérieurs compliqués" », a prévenu Jacques Davy, directeur des affaires juridiques et fiscales de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Le représentant des distributeurs a listé plusieurs lois que les magasins devront prendre en compte dans les années à venir et qui nécessitent parfois de lourds investissements, telles que « la loi Agec avec l’économie circulaire, la loi "Climat" avec les problématiques d’artificialisation des sols, la loi "Énergie renouvelable" », qui va « obliger les magasins à transformer les parkings en ferme solaire ». Et Jacques Davy n’a pas manqué de rappeler que « le juge de paix » reste toujours le consommateur.
Inquiétude face à la volatilité des cours
Pour Thierry Dahan, le médiateur des relations commerciales, c’est la volatilité des cours qui risque de compliquer durablement les négociations entre industriels et enseignes de la grande distribution. « Il va valoir tenir compte d’un environnement beaucoup plus volatil que par le passé, je ne pense pas à la guerre en Ukraine, je pense aux conditions climatiques », a-t-il prévenu. Le médiateur craint par exemple que la sécheresse impacte de façon importante les cours « d’un certain nombre de produits ». Il a notamment cité l’exemple des cours de la pomme de terre, qui ont été fortement impactés par la sécheresse de 2022. Et « les contrats ne sont pas faits pour suivre le yoyo des prix tous les 3 ou 4 mois », alerte-t-il.
Des renégociations à venir
La question de l’adaptation des outils législatifs à la volatilité des prix risque d’être de plus en plus prégnante. Bruno Lemaire, le ministre de l’Économie, a d’ores et déjà annoncé qu’il demanderait aux industriels d’engager des renégociations à partir de la fin de juin, car « les coûts sont en train de baisser ». Il présentait ce 6 mars le dispositif « trimestre anti-inflation » visant à mettre en place « sur un nombre de références élevées » librement choisies par les distributeurs, « un niveau de prix le plus bas possible ».