Au volant de sa voiture, Claudine Le Barbier a la main crispée sur le levier de vitesses. Il faut dire qu’ici, au Pays-de-Belvès, les rues montent et descendent, vestiges de son passé médiéval. À l’époque, le village se construit autour de son château, qui surplombe la vallée de la Nauze. L’endroit s’impose alors comme « un lieu de pouvoir et un centre économique important », à en croire le site internet du guide du Périgord.
De cette période faste, il reste un ancien couvent reconverti en mairie, une imposante église gothique et une halle du XVe siècle autour de laquelle ont jailli cafés et restaurant. « On est classé plus beau village de France », s’exclame Claudine Le Barbier, l’ancienne maire, alors qu’elle ralentit devant la halle. Dehors, quelques téméraires s’aventurent dans les rues ensoleillées, bravant la chaleur d’un mois de juin caniculaire. D’autres, en quête de fraîcheur, préfèrent siroter un verre dans un bistro. « Là c’est le centre, ça vit quand même », poursuit-elle, comme si elle cherchait à s’en persuader. « Après, c’est sûr, ça reste un village… »
Pionnière
Si Claudine Le Barbier met tant de cœur à faire la promotion de Belvès, ce n’est pas pour attirer les touristes, qui, elle n’en doute pas, arriveront en masse d’ici à quelques semaines. Non, ce que l’ancienne élue cherche réellement, c’est un médecin. Car aujourd’hui, Belvès, 1 400 habitants, se voit accoler la triste étiquette de « désert médical ».
La problématique n’est pas nouvelle. En 2011, pour y remédier, l’élue soumet une idée novatrice : construire une maison de santé, la première du département. « J’ai servi de lanceuse d’alerte. On a travaillé avec la MSA, qui était en pointe sur le sujet de la désertification médicale », explique-t-elle. Elle démarche alors les autorités à la recherche de fonds. L’Union européenne, l’État, la Région, la communauté de communes et la commune vont débourser au total près d’un million d’euros pour mettre le projet sur pied. Quatorze ans plus tard, la maison de santé est toujours là.
Plus de proximité
Sur son parking, il ne reste quasiment aucune place de libre. Le bâtiment de deux étages jouxte un cabinet de kinésithérapeutes, présent avant sa construction. « On avait fait exprès pour renforcer la cohésion entre les soignants », raconte Claudine Le Barbier, en poussant la porte du cabinet. Pari gagnant.
« Les patients sortaient de chez le médecin avec la prescription et venaient directement dans le cabinet, prendre leur premier rendez-vous », raconte Frédéric Castagnié, kinésithérapeute installé depuis 26 ans. Il a pris place dans la salle de réunion, au bout du couloir qui relie les deux bâtiments, dans cette même pièce, où, les professionnels de différents horizons s’attablaient pour discuter. « À l’époque, il y avait trois médecins généralistes et on faisait des sortes de colloques. L’avantage pour la prise en charge, c’était la simplicité qui émanait de ce système », explique-t-il.
Attirer les futurs soignants dans les campagnes (07/05/2025)
Allongée sur une table d’examen, Julie Lavergne grimace en tendant le bras. Cette bouchère-charcutière s’est déboîtée l’épaule et arrive à la fin de sa rééducation. Elle est venue de Coux-et-Bigaroque, à huit kilomètres de Belvès, pour voir un kinésithérapeute. Elle aussi se souvient de l’arrivée de la maison de santé dans la zone. Un soulagement. « Pour certains corps de métier, il n’y a plus besoin de faire deux heures de route pour aller à Bordeaux, en prenant un rendez-vous très tôt, qui vous oblige à vous lever à cinq heures du matin », admet-elle. « Et avec le kiné, l’ostéopathe et le podologue au même endroit, la prise en charge est quand même plus complète. »
Synergie d’équipe
Anaïs, la podologue dont le prénom a été modifié, n’avait au départ pas spécialement d’attrait pour le modèle de la maison de santé. « C’est au fur et à mesure du temps que j’ai trouvé ça confortable de ne pas être seule, ne serait-ce que pour des questions de sécurité. Quand vous sortez à 19 h, c’est agréable quand il reste quelqu’un avec vous et aussi dans la relation avec les patients, qui sont parfois agressifs dès que vous dites quelque chose qui ne leur plaît pas », confie-t-elle. La praticienne reconnaît aussi des avantages pour les soins. « On peut poser directement les questions au médecin si on a besoin d’un avis. C’est aussi plus facile pour organiser les anesthésies. On prévient le médecin, il prend le patient un quart d’heure avant le rendez-vous et on le récupère ensuite », détaille-t-elle.
En face de son cabinet, se trouve celui d’Édouard Parra. Ce dentiste s’est installé il y a cinq ans. Avant, il exerçait à Paris mais la crise du Covid-19 a accéléré sa réflexion de quitter la capitale. Il s’établit en Dordogne pour des raisons personnelles. Sa fille vit à proximité et il y est déjà venu en vacances.
Mais le choix de Belvès est, lui, motivé par des raisons professionnelles. « J’ai visité trois cabinets dans la zone. J’étais étonné de voir qu’autant d’endroits manquaient de dentistes », reconnaît-il. La maison de santé fera pencher la balance. « Par rapport à un cabinet indépendant, il y a toujours du monde, ça donne la possibilité aux patients de déposer des radios ou on peut vous laisser une note. » Il viendra combler un vide de deux ans sans dentiste. « Je sais que certains de mes patients font 40 minutes de trajet pour venir, c’est dramatique », regrette-t-il.
Un seul médecin généraliste
Pourtant, même si le modèle reste fonctionnel, la période dorée des grands colloques dans la salle de réunion, autour de pizzas commandées par l’équipe, est terminée. De trois médecins généralistes, la maison de santé est passée à un seul. Au sous-sol, Claudine Le Barbier pousse la porte d’une des salles de consultation restée vide. « C’est grand, c’est pratique pourtant », soupire-t-elle. L’un des docteurs est décédé, l’autre est parti.
Le seul qui reste est belge, venu se mettre au vert dans la campagne française. Après deux tentatives d’installation infructueuses en 2005 et en 2015, Philippe Vierendeel tombe sur une offre en 2019. La commune de Limoux recherche un généraliste. Quand il appelle, le poste est pourvu mais au téléphone, le recruteur lui indique une autre opportunité : Belvès. « J’avais une philosophie, c’était d’arriver dans un endroit où il y avait déjà une demande », affirme-t-il.
Sur place, il rencontre le maire, fait le tour du bourg, envoie des photos à sa femme, au départ réticente. Finalement, elle se laisse convaincre. Le couple déménage avec ses deux enfants. « Je crois que la ruralité convient bien à mes filles », sourit-il. Et puis à Belvès, pour lui, les activités ne manquent pas : un cinéma, des clubs de sport, et même « une très bonne équipe de rugby », dont le stade se trouve en face de la maison de santé, précise Claudine Le Barbier. Seul bémol : les distances car le village est enclavé, loin des trains et de l’accès à l’autoroute.
Faire le lien
Mais professionnellement, lui rêve plus grand. « Quand on était en Belgique, ma femme travaillait dans une maison de santé où il y avait vraiment de nombreux professionnels, même des psychologues, des assistants sociaux et des avocats qui faisaient des permanences juridiques pour les patients. C’était un modèle très riche », avance-t-il. Il a conscience que ce serait difficile à reproduire mais il voit quand même quelques améliorations possibles. « Il manque par exemple un secrétariat commun à tout le monde dans la maison de santé. » « On y travaille », lui répond aussitôt l’actuel maire, Christian Léothier, « mais c’est compliqué ».
Claudine Le Barbier fait la moue. Elle le sait, les médecins, c’est un public exigeant. « Pour attirer les jeunes docteurs, il faut comprendre leurs aspirations, avoir des attractions suffisantes, des écoles pour leurs enfants… » Et le travail ne s’arrête pas là. « En tant qu’élu, il faut continuer de faire lien, aller les voir, demander comment on peut les aider. La vie en campagne est basée sur cette proximité », soutient-elle. Mais rien ne remplace l’attachement au territoire.
« Tous ceux qui restent, c’est quand ils viennent d’ici », constate Anne-Sophie Lafon. C’est le cas de cette jeune kinésithérapeute, venue s’installer dans le cabinet de la maison de santé dès sa sortie d’études. « Le problème avec les médecins, c’est qu’ils font leurs études généralement en ville et qu’ils font aussi leur vie là-bas après », oppose Claudine Le Barbier. D’autant qu’en médecine, les études sont longues, dix ans au minimum.
Aujourd’hui, la commune ne baisse pas les bras. Un plan de communication est en route avec un mot d’ordre : « Pays-de-Belvès, recherche un, deux ou trois médecins généralistes ou spécialistes. » Dans un dossier d’une dizaine de pages, qui sera envoyé aux courtisés, tout est passé en revue : le patrimoine, l’offre de soins dans la région et les avantages fiscaux (1). Deux vidéos sont aussi en attente : une sur les alentours, l’autre pour faire témoigner les soignants déjà présents. Comme 87 % du territoire français en zone sous dotée, Belvès a appris à se vendre.
(1) Pays-de-Belvès est classée en ZFRR – Zonage France ruralités revitalisation — les soignants qui s’y installent peuvent donc être exonérés d’impôts sur les bénéfices pendant cinq ans.