À Thodure, dans l’Isère, l’EARL des Lices cultive du maïs semences, du soja, du tournesol, des céréales, du colza, des lentilles et diverses plantes aromatiques, sur une SAU de 110 ha. Près de 70 % de la surface est irrigable. Jusqu’en 2022, les associés utilisaient uniquement des enrouleurs mais depuis deux ans, l’exploitation a mis en place un nouveau mode d’irrigation, grâce à un réseau de gaines enterrées. Sur trois parcelles, pour une surface totale de 20 ha, l’eau arrive désormais directement par goutte-à-goutte au niveau des racines des plantes.
« Nous cherchions depuis plusieurs années une alternative aux enrouleurs, afin de gagner du temps et de mieux valoriser les apports, explique Étienne Charpentier, l’un des trois associés de l’EARL. Investir dans des rampes ou des pivots ne serait pas rentable car, avec une surface moyenne de 3,5 ha, nos parcelles sont soit trop petites, soit trop biscornues. Nous avons donc opté pour ce système de goutte-à-goutte enterré, mis en place dans une première parcelle de 4,6 ha durant l’hiver 2022/2023. Comme cela a bien fonctionné, nous avons réalisé une deuxième installation sur une quinzaine hectares supplémentaires l’année suivante. »
40 cm de profondeur
La technique est encore peu développée sur la région Auvergne-Rhône-Alpes et les distributeurs sont peu nombreux. L’EARL a d’abord travaillé avec la coopérative Val Soleil, avant de se rapprocher l’année suivante de la concession Peillet qui dispose d’une division irrigation. Cette entreprise a réalisé toute l’étude préalable à la configuration et à l’installation du réseau. Il s’agit d’une gaine en PVC, fabriquée par Netafin, et percée d’un trou tous les 50 cm offrant un débit de 0,6 l/h. Ce produit est assez couramment utilisé en maraîchage où il est enfoui à une vingtaine de centimètres de profondeur car le travail du sol est souvent plus superficiel. Pour cette exploitation de grandes cultures ayant recours régulièrement au labour, il a fallu descendre à 40 cm. « Dans la première parcelle, l’écart entre les tuyaux était de 1,20 m, précise Étienne. Finalement, la deuxième année, nous avons préféré réduire cette distance à 1 m pour assurer une meilleure efficience. »
Sous-soleuse à 4 rangs
Les établissements Peillet n’assurent pas l’enfouissement mais fournissent à leurs clients une machine pour le faire. Il s’agit d’une sous-soleuse à profondeur réglable, travaillant sur quatre rangs en même temps. Les bobines de gaines sont disposées sur la machine et il est important de bien placer la perforation vers le haut. Le chantier de pose se fait souvent à deux : un chauffeur dans le tracteur qui suit le guidage GPS, assisté par un opérateur qui supervise le travail à l’arrière et change les bobines. Les gaines sont ensuite reliées à chaque extrémité à deux collecteurs de 110 mm, qui sont ici en PVC.
Ils sont placés dans des tranchées de part et d’autre de la parcelle. Un côté est relié à la pompe et le second tuyau, situé à l’autre bout du champ, permet de faire circuler l’eau et d’effectuer une purge du circuit si besoin. « L’enfouissement des gaines avec la machine et le tracteur nécessite environ 4 h/ha à deux personnes, soit 8 h de main d’œuvre. Mais ce n’est pas le plus chronophage, précise Étienne. La pose des collecteurs et la réalisation de toutes les connections nécessitent beaucoup plus de temps. Au total, l’installation complète représente une soixantaine d’heures de travail par hectare. »

Filtres de 130 microns
Chaque parcelle est divisée en secteurs de 2 à 3 ha que les associés ont choisi d’alimenter avec une conduite neuve. L’objectif est en effet d’éviter tout risque de colmatage par des particules. Ils ont aussi prévu des filtres autonettoyants de 130 microns en sortie de pompe et des filtres supplémentaires à l’entrée de chaque secteur. La gestion des tours d’eau est complétement différente de celle d’un système aérien. L’EARL irrigue chaque secteur successivement en apportant entre 1,5 et 3 mm à chaque fois. L’opération peut être renouvelée une ou deux fois par jour. « L’objectif est de fournir juste ce qu’il faut d’eau pour maintenir le phénomène de capillarité dans le sol, explique l’agriculteur. Mais sans excès, sinon cela entraine des pertes. »
Les tours d’eau sont programmés via une application sur smartphone fournie par le distributeur qui pilote les vannes placées en entrée de secteur. Les exploitants gèrent ainsi les plages d’ouverture. La communication se fait par Bluetooth, ce qui implique de passer à proximité de chaque vanne pour planifier son fonctionnement. C'est aussi l’occasion de surveiller les filtres et de veiller au bon déroulement des opérations. Les associés ont en effet subi quelques déboires au départ avec des raccords qui n’étaient pas correctement fixés. Dès qu’une connexion lâche, la pression au manomètre chute. L’endroit à réparer est généralement facile à trouver car l’eau apparait en surface au bout de quelques minutes. Il faut alors utiliser la minipelle pour déterrer le tuyau et refaire la connexion. « Heureusement, la majorité des raccords a tenu le choc mais c’est un point sur lequel il faut être vigilant au moment de la pose, précise Étienne. Ramené à l’hectare, le temps de travail quotidien nécessaire au suivi de ce type d’irrigation est pratiquement équivalent à celui consacré à la gestion des enrouleurs. Mais avec tout de même quelques avantages : moins de pénibilité, plus besoin de se relever la nuit ni d’utiliser de tracteur et plus de recroisement des passages en bout de champ ou dans les pointes. »
En termes de coût par ha, selon les exploitants, « le prix de cette installation était équivalent à celui d’un pivot ou d’une rampe ». Mais attention, ce type de goutte-à-goutte enterré est déconseillé dans certaines situations : importants dénivelés, sols très superficiels ou présence de pierres. En revanche, il s’adapte à toute forme de parcellaire, ce qui est un atout. Globalement, les associés de l’EARL se disent plutôt satisfaits de ce nouveau système qui leur permet notamment d’irriguer sans se préoccuper du vent. Autre atout : une pression de travail de 4 bars en sortie de pompe est largement suffisante, alors qu’il faut atteindre entre 8 et 10 bars pour assurer le fonctionnement des enrouleurs. Grâce à des variateurs placés sur chaque pompe, l’EARL réalise ainsi d’importantes économies d’énergie.
« D’un point de vue agronomique, le risque de verse est réduit et le sol est moins tassé, ajoute Étienne. Malgré notre faible expérience, la qualité de l’irrigation est au rendez-vous et l’eau semble bien valorisée par les plantes. Il nous faut encore acquérir des références sur la technique, notamment pour interpréter les données fournies par les sondes et calculer les doses au plus juste. Nous devons aussi veiller au bon entretien des circuits et à ne pas matraquer les sols. Certaines pratiques, comme le stockage et le rechargement de fumier au champ, sont donc à proscrire. La durée de vie de l’installation sera bien sur déterminante sur la rentabilité finale, mais nous tablons au minimum sur vingt ans d’utilisation »