Les strongles gastro-intestinaux (Haemonchus contortus, Teladorsagia circumcincta et Trichostrongylus colubriformis) sèment la terreur dans les troupeaux ovins. Dans certaines exploitations, ils ne réagissent plus aux traitements anthelminthiques et prolifèrent dans les voies digestives des moutons, engendrant des pertes économiques considérables.

Philippe Jacquiet, parasitologue à l’école vétérinaire de Toulouse, a détaillé la genèse du phénomène lors d’une conférence au Ciirpo. Il décrit aussi les pistes pour freiner sa progression.

1 Naissance de la résistance

« Une population de parasites est dite résistante lorsqu’elle a acquis la capacité de résister à une concentration d’antiparasitaires habituellement létale pour les individus de cette espèce », définit Philippe Jacquiet. Naturellement, il existe toujours une petite population d’individus capables de survivre à un traitement anthelminthique. « En exerçant une pression de sélection sur cette population en utilisant le même produit à une forte fréquence, les individus résistants sont de plus en plus nombreux au fil des générations », poursuit-il. L’apparition de la résistance est étroitement liée à la stratégie d’utilisation des antiparasitaires dans une exploitation en particulier. Ce qui se passe dans des élevages situés de part et d’autre d’une même route départementale peut être très différent. »

2 Une situation irréversible

La pression de la sélection fait donc évoluer le génome du parasite. Même avec une faible proportion de vers résistants avant les traitements, il est possible d’arriver à une situation où tous les individus sont porteurs de la mutation. « Et lorsque l’allèle de résistance est fixé, il n’est plus possible de revenir en arrière, souligne-t-il. Cesser d’utiliser la molécule pendant trois ou cinq ans ne sert à rien. La situation est irréversible. » Il ne reste qu’une solution : changer de famille de molécules. Or, la panoplie à disposition des éleveurs est très réduite.

3 Quatre familles de produits

« Si le marché est apparemment riche en produits anthelminthiques, ceux-ci appartiennent en réalité à seulement quatre familles différentes, précise Philippe Jacquiet. Chaque famille de produits présente un mécanisme d’action spécifique. Lorsqu’un ver développe une résistance envers un mécanisme, il sera résistant vis-à-vis de tous les produits de cette famille. »

D’où la nécessité de bien identifier la famille du produit que l’on utilise et ses molécules. Les quatre familles disponibles sur le marché français sont :

- les benzimidazoles avec les matières actives suivantes : fenbendazole, oxfendazole, mébendazole, albendazole et probenzimidazoles (nétobimin) ;

- les imidazothiazoles (lévamisole).

- les salicylanilides (closantel)

- les lactones macrocycliques (avermectines, doramectine, éprinomectine et moxidectine).

4 Mettre en place une lutte raisonnée

La diffusion des résistances peut être freinée en alternant l’utilisation des molécules, pas seulement d’une année sur l’autre mais au sein d’une même campagne. « L’objectif est de prendre les vers de court », déclare Philippe Jacquiet. Attention donc à la tentation du produit le moins coûteux. S’il est possible de l’intégrer dans un programme, une utilisation systématique est fortement proscrite. Idem pour les produits de longue action. « Ils allongent la pression de sélection, précise-t-il. Il faut toujours se poser la question de savoir si l’on a vraiment besoin d’utiliser un tel produit. Les fermes ne sont pas des mondes étanches. Lorsqu’on achète un bélier ou une agnelle, il arrive sur l’élevage avec son cortège de vers résistants. » (Lire La France agricole du 30 septembre, page 33)

5 Utilisation de la coprologie de mélange

Pour traiter à bon escient, la mesure de l’intensité d’excrétion d’œufs est un bon indice. Elle est mesurée par l’analyse coprologique. « Attention toutefois à l’interprétation des résultats, prévient Philippe Jacquiet. Les laboratoires n’utilisent pas tous la même méthode d’analyse. » Il est important de se reporter au référentiel de la technique employée. « A l’Ecole nationale vétérinaire de Toulouse, nous utilisons, la technique de flottaison simple en lame de MacMaster décrite par Reynaud en 1970, pour laquelle nous avons une grille d’interprétation précise », déclare-t-il.

L’échantillonnage est aussi une étape clé de l’analyse. La coprologie de mélange est un moyen pour réduire les coûts. « Il existe une bonne corrélation entre la moyenne des analyses individuelles et une analyse de mélange », souligne-t-il. Entre 50 et 200 œufs par gramme (opg), le traitement ne s’impose pas. Lorsqu’on se rapproche de 500 opg, il faut se poser des questions sur la pertinence du traitement. De même entre 500 et 1 000 opg, l’infestation est considérée comme modérée à forte, mais tout dépend encore du contexte de l’élevage. La décision de traiter ou non doit tenir compte des résultats de l’analyse coprologique mais aussi d’autres éléments comme l’état général des animaux, la proximité d’événements comme la lutte ou l’agnelage. En revanche, à partir de 1 000 opg, l’état des animaux sera très impacté et la contamination au pâturage très importante, le traitement des animaux est alors obligatoire. « Lorsqu’on laisse passer de telles infestations, on prépare des lendemains très difficiles », insiste Philippe Jacquiet.

6 Les signes annonciateurs

Il existe des signes pour évaluer l’état de santé des animaux. « La note d’état corporel (Nec) est une mesure intéressante à mettre en place », souligne le vétérinaire. Celle-ci consiste à palper les animaux pour leur attribuer une note comprise entre 0 (très maigre) à 5 (suiffarde). « La baisse de la Nec n’est pas un indice spécifique, ajoute-t-il. Néanmoins, lorsqu’on observe au pâturage une baisse de 0,5 point de Nec en l’espace d’un mois et demi sur un lot, la responsabilité des strongles doit être suspectée. »

Le score de souillure de l’arrière-train est une méthode utilisée dans certains pays de l’hémisphère Sud. Ce n’est pas un signe spécifique non plus mais il peut mettre sur la piste. La diarrhée fait partie des signes cliniques que peuvent engendrer les strongles gastro-intestinaux. Comme pour la Nec, la grille de notation souvent utilisée s’échelonne de 0 (l’arrière-train ne présente aucune trace de diarrhée) à 2 (l’arrière-train est intégralement souillé). La décoloration des muqueuses oculaires est un autre indice.