La stabulation est restée vide et silencieuse pendant plus de trois mois après le dépeuplement du troupeau du Gaec Duchêne, à Entrelacs en Savoie. Le blocage qui avait tenu plusieurs jours à la mi-juillet n’avait pas empêché l’abattage d’une centaine de montbéliardes. À la fin d'octobre, les trois seules survivantes (1) ont enfin réintégré le bâtiment, passé les délais liés à la désinfection. L’été a paru long au jeune éleveur Pierre-Jean Duchêne, qui a « trouvé des occupations dans le bâtiment, bricolé, changé des choses ». Il confie avoir « repris du poil de la bête » avec la perspective toute proche du repeuplement.

Des « animaux de la même race et déjà habitués au robot »

Les vaches qui devaient lui arriver du Jura s’étant retrouvées bloquées par la nouvelle zone réglementée, Pierre-Jean Duchêne a dû en chercher dans les Savoies. « Dans notre zone, des éleveurs avec de bons troupeaux ont fait l’effort de mettre des lots de vaches de côté, apprécie-t-il. On a trouvé des animaux de la même race et déjà habitués au robot, et pour la plupart génotypés. J’ai prévu de toutes les vacciner contre la grippe dès leur arrivée pour ne pas prendre ce risque en plus du stress du repeuplement. »

Son premier lot de dix vaches, arrivé le 31 octobre, provient d’un éleveur savoyard en fin de carrière qui, après l’abattage d’une partie de son troupeau, cesse son activité. « Mais globalement, tous ceux que je vois ont envie de repartir, observe Pierre-Jean Duchêne. Même ceux qui approchent de la retraite veulent pouvoir finir leur carrière dignement. » Un autre de lot de quinze vaches devait arriver au début de novembre, sitôt les résultats de leurs analyses de sang connues. « D’ici à quelques mois, en comptant mes génisses qui auront vêlé, j’aurai retrouvé de 70 à 80 laitières », indique-t-il.

« Y aller par petits pas pour que les animaux s’adaptent bien »

Au même moment, à cinquante kilomètres de là, Nicolas Prudhomme entame aussi le repeuplement. La dermatose avait frappé à la fin de juillet sur cette exploitation de Saint-Ferréol, en Haute-Savoie, entraînant l’abattage d’une cinquantaine de montbéliardes. « Je viens de récupérer trois vaches chez des cousins. J’en reçois encore un lot de sept, puis de quatre la semaine prochaine, et encore douze la semaine du 10 novembre, indique-t-il au téléphone à La France Agricole le 31 octobre 2025. Je fais le choix d’y aller par petits pas pour que les animaux s’adaptent bien. Et je suis encore très occupé par les réunions et papiers pour tous les aspects réglementaires et sanitaires. »

Nicolas Prudhomme prend le temps, aussi, de choisir des animaux correspondant bien à son bâtiment et son système. « Des bêtes de très belle qualité vont arriver, se réjouit-il. J’ai perdu une génisse à taureaux qui devait entrer en station, mais je vais récupérer une mère à taureaux. On va pouvoir remonter un troupeau d’aussi bonne valeur génétique, mais probablement pas sur tous les plans. Par exemple, on avait beaucoup travaillé sur les taux : ce sera long de retrouver le même niveau. »

Se remettre à produire vite

Les éleveurs ont intérêt à se remettre à produire vite, ne serait-ce que pour des raisons économiques. En attendant l’instruction des dossiers d’indemnisation, seul un acompte, correspondant à une valeur forfaitaire par bovin abattu, a été versé aux éleveurs. « J’ai touché 200 000 €, alors que le total du préjudice, incluant trois mois de pertes d’exploitation, a été évalué à 540 000 €, témoigne Pierre-Jean Duchêne. J’ai déjà 18 000 € d’emprunt à court terme pour la désinfection du bâtiment, qui sera remboursée par l’État. Je ne sais pas quand on touchera le solde des indemnisations. » Mais il positive : « On va se remettre à faire du lait, à faire notre métier, c’est déjà bon pour le moral ! »

De son côté, Nicolas Prudhomme souligne l’accompagnement dont bénéficient les éleveurs. « La chambre d’agriculture a fait un gros travail pour estimer nos pertes d’exploitation, note-t-il. Nous sommes aussi accompagnés par les banques via des prêts à taux zéro. Et l’État nous a accordé un cas de « force majeure » permettant de toucher nos aides Pac comme d’habitude, même si le dépeuplement nous fait sortir des clous. » Il a toujours une pensée pour les anciens qui ont, en leur temps, affronté la brucellose. « Eux aussi, à l’époque ont eu le courage de dépeupler, puis ils ont rebondi : et la France leur doit aujourd’hui son magnifique cheptel laitier. »

(1) Étant sur un pré éloigné, sans contact avec le troupeau, ce lot avait été épargné.