«Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », affirme un dicton anglais attribué à Churchill. Cet adage, la ferme laitière des Cara-Meuh ! semble se l’être approprié par la force des choses. Située à Vains, près d’Avranches, à une encablure du Mont-Saint-Michel, l’exploitation familiale (depuis 1929) produisait plus d’un million de litres de lait à la veille de la crise laitière de 2009.
Sécuriser un revenu et un débouché pour le lait
À la tête de ce Gaec entre concubins (1), Sylvie Poulain et André Lefranc rejoignent le mouvement de la grève du lait. L’issue de cette bataille les pousse à une profonde remise en cause. « Il devenait pour nous indispensable de sécuriser un revenu et un débouché pour notre lait. Avec la proximité du Mont-Saint-Michel, nous étions bien situés pour approcher une clientèle touristique. L’idée de produire des caramels est née de cette réflexion, avec une recette à 80 % à base de lait », retracent les conjoints. C’est ainsi qu’en décembre 2010, les premiers « Cara-Meuh ! » (2) pointent le bout de leur papillote.

Trois fils installés
En 2011, les éleveurs entament leur conversion en bio auprès de la laiterie Biolait. Le visionnage du film de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global, aura été l’élément déclencheur. Par la production bio, les éleveurs voulaient aussi trouver de meilleures marges pour la part du lait qui n’est pas transformée sur place.
Pour développer l’activité caramel, la ferme mise dès le départ sur l’accueil du public et le point de vente tenu sur place. Le site devient en quelques années un véritable pôle d’attractivité touristique (40 000 visiteurs par an). Cette expansion permet l’installation, sans reprise de foncier, des trois fils : Fabien et Jason en 2016, puis Charlie, l’aîné, en 2018. « Seul Fabien a fait des études agricoles. J’étais dans le commerce et Charlie pompier de Paris. C’est le projet de transformation du lait qui a permis à chacun de trouver sa place », souligne Jason Lefranc. L’exploitation vend et transforme 750 000 l de lait en faisant vivre 12 personnes.

Crise de la Covid
En 2020, nouvelle crise. L’arrivée de l’épidémie de Covid-19 au printemps marque un coup d’arrêt brutal au tourisme. Un système de vente en ligne des caramels et de drive est mis en place. La production de caramels doit être stoppée pendant trois mois. Dans l’urgence de valoriser le lait de printemps, les producteurs mettent sur pied un projet de production de fromage à pâte pressée cuite. L’atelier caramel servira dès le mois de mai 2020 aux premières fabrications. Sept tonnes de fromage seront ainsi produites au cours de ce printemps. Depuis, les éleveurs ont mis en service une fromagerie à part entière et attenante à la salle de traite. « Cela faisait quelques temps que nous réfléchissions à un atelier fromager, explique Fabien. Pour des raisons de conservation, nous nous sommes orientés vers la fabrication à pâte pressée. Deux types de fromage sont produits, le Comfiné et la Meuhle. Ils sont affinés entre 4 mois et 18 mois. »
Une équipe préservée
En 2020, les éleveurs investissent également dans l’agrandissement du magasin et de l’atelier de caramels. Un parcours explicatif et ludique a été aménagé pour permettre des visites de la ferme en autonomie. Des vidéos diffusées sur écran plat montrent notamment la fabrication des fromages et des caramels. « Ces projets nous ont permis de conserver l’équipe opérationnelle à 100 % sur toute la période de distanciation sociale », se réjouit Charlie.
Aujourd’hui, l’activité a repris son rythme d’avant-crise avec une fromagerie en plus. Les 18 et 19 septembre 2021, les producteurs ont accueilli plus de 10 000 personnes lors de leur festival à la ferme, animé de conférences et de concerts.
De cette nouvelle crise, les éleveurs semblent renforcés. Une fois encore, ils ne l’ont pas gaspillée.
Alexis Dufumier
(1) Statut que Sylvie et André ont bataillé pour obtenir et qui fait aujourd’hui jurisprudence.
(2) En Normandie, le suffixe ou préfixe « Meuh » est devenu un marqueur régional.