Quand on a quatorze chiens pour protéger son troupeau, les problèmes arrivent tôt ou tard. « Quand une de mes chiennes a “pincé” quelqu’un, ma vie a basculé : on voulait presque me lyncher, témoigne Elisabeth Moreau, éleveuse dans le Vercors. Il est important de mieux communiquer sur les chiens. C’est pour cela que j’ai participé aux réunions avec le Parc naturel régional (PNR), en mettant mes rancœurs de côté. »
Élaborer un « récit commun »
De juillet 2020 à septembre 2022, en partenariat avec la plateforme européenne Adelphi, le PNR du Vercors a invité tous les acteurs du territoire à élaborer un « récit commun ». « Depuis son retour en 1996, le loup crée des contraintes qui pèsent beaucoup trop sur les éleveurs : nous devons mieux répartir ce poids, admet Michel Vartanian, vice-président du parc. Le pastoralisme est un élément fondateur du parc que nous voulons maintenir. »
Chez France Nature Environnement (FNE), Jean-David Abel abonde : « Il faut accompagner les éleveurs et bergers qui sont en première ligne et respecter leur travail. Cela demande d’éduquer les promeneurs : on ne crie pas sur un chien, on referme les clôtures, on ne roule pas vite en VTT au milieu d’un troupeau, et on ne se croit pas chez soi ! »
Médiatrice professionnelle
Le projet a fait débattre ensemble une soixantaine de personnes du monde agricole, du tourisme, de la chasse, du sport, de la défense de la nature et des collectivités. La présence d’une médiatrice professionnelle a été déterminante. En partant du loup, le débat s’est étendu à la cohabitation au sens large. « Le récit commun rappelle aux promeneurs qu’ils se trouvent chez quelqu’un et doivent respecter ses règles », résume Michel Vartanian.
Entendre d’autres corporations, défendre son métier a fait du bien à Elisabeth Moreau. « Je m’étais transformée en ermite à cause de mes chiens… Là, j’ai vu des progrès, comme quand les VTTistes ont arrêté de dire “chiens d’attaque” pour “chiens de protection”. » L’éleveuse non syndiquée s’est efforcée de relayer les avis de tous ses collègues. « Mais certains ne comprennent pas que j’aie pris part à ce dialogue. »
Les syndicats agricoles, conviés, ont décliné. Président de la Fédération départementale ovine de la Drôme, Frédéric Gontard l’explique crûment : « On souhaitait l’échec du dialogue car on ne veut pas partager le Vercors ! Sa surfréquentation est un problème. Les gens affolent les chiens et ce sont les éleveurs qui vont au tribunal. Ils coupent les parcs au lieu d’emprunter les chemins, ne ferment pas les clôtures, laissent leurs déchets… »