Pourquoi la gestion des prédateurs est-elle inefficace ?
La France est le seul pays d’Europe à avoir développé une politique globale en se donnant tous les moyens face au loup et avec la plus grande efficacité possible. L’État a mis de façon massive une politique de protection des troupeaux associée avec une dizaine d’années de retard à des tirs lorsque le prédateur approche des troupeaux. L’association des deux présente néanmoins une faille liée à la nécessité de recourir au principe dérogatoire à cause de la directive « Habitats ». Il faut avoir tout essayé avant de pouvoir tirer le prédateur. Cela veut dire que l’on pousse à la faillite les moyens dont on peut disposer avant d’appliquer la correction (les tirs). Le principe dérogatoire représente la faille majeure et explique en partie l’échec de la politique globale.
On apprend d’abord aux loups à réussir son approche des troupeaux avant de lui infliger une sanction. C’est d’une absurdité absolue. Il vaudrait mieux introduire simultanément la protection généralisée des troupeaux et les tirs pour raréfier la nécessité de la sanction. Le recours aux tirs serait moins nécessaire si on ne commençait pas par familiariser les loups au troupeau. C’est un paradoxe. La France est ligotée par ce principe dérogatoire. Si nous sommes aujourd’hui à un tel niveau de dégâts, c’est parce qu’il faut toujours rehausser le niveau de protection des troupeaux face à des meutes de loups déterminées. Et ne nous y trompons pas : ce qui ne marche pas en France ne marchera nulle part ailleurs.
Je suis d’un extrême pessimisme pour l’élevage pastoral.
Une zone où le prédateur serait exclu peut-elle envisageable ?
La directive « Habitats » l’interdit. Elle existe en Finlande par exemple car le pays avait introduit une dérogation avant de signer la directive « Habitats ». Dans les Pyrénées, la question du cantonnement de l’ours a été évoquée, mais c’est contraire à la loi. En tant qu’Alpin, je ne suis pas favorable au cantonnement dans les Alpes, mais je ne souhaite pas que les agriculteurs du Massif central vivent ce que nous avons vécu.
Quel est l’avenir de l’élevage pastoral dans ces conditions ?
Je suis d’un extrême pessimisme pour l’élevage pastoral. L’élevage paysan, celui dont l’insertion dans le paysage local est la plus forte, est le plus vulnérable. Il disparaîtra le premier. Tout converge vers une réaffectation des espaces les plus extensifs et les moins productifs vers un nouveau projet de société qui est l’ensauvagement. C’est une réponse à la demande sociétale qui vient des métropoles. C’est une offensive culturelle forte qui fonctionne car elle surfe sur des attentes et des frustrations. Depuis le béton, il est possible de rêver des loups, depuis la montagne, le rêve est moins facile.
Peut-on craindre la prédation sur les bovins ?
Nous sommes terriblement démunis sur cette problématique qui s’accroît rapidement. Nous n’avons pas de schéma de protection adapté. Les moyens budgétaires ne pourront jamais suivre. Les tirs seront accordés sans les moyens de protection, c’est un zonage de facto qui pourrait s’installer sans jamais être officialisé. Est-ce que le poids de la filière bovine pourra faire bouger les lignes ? Plus fondamentalement, je crois que l’élevage pastoral doit affirmer ses valeurs, productive, environnementale, et revendiquer pour elle-même la valeur biodiversité. Ce n’est pas par rapport à leur apport à la biodiversité que les loups sont là, c’est pour répondre à une demande sociétale. À nous de reconstruire une demande sociétale pour l’élevage pastoral !
Je suis frappé par la concentration des meutes dans l’arc alpin.
Existe-t-il une lueur d’espoir ?
Je ne crois pas que l’élevage trouvera à terme un équilibre avec la présence des prédateurs dans la prolongation des politiques européennes actuelles. Aujourd’hui, la porte d’entrée au sujet du loup, de l’ours, c’est la MSA. C’est une évolution grave. Ça dit beaucoup de la situation. Ça veut dire, nous allons vous aider à affronter une situation à laquelle on ne touchera pas. C’est pour ça que je dis que c’est dramatique.
Que peut-on penser de la dynamique lupine ?
Je suis frappé par la concentration des meutes dans l’arc alpin. 126 meutes sur cet espace, c’est énorme. Le territoire de chaque meute se réduit. On peut constater en revanche qu’il s’implante très lentement dans le Massif central. La barrière ne tiendra qu’un temps. L’expansion est aujourd’hui très vigoureuse, sachant qu’en moyenne cinq nouveaux louveteaux naissent dans une meute. Tous ne vont pas survivre, mais ce sont plusieurs centaines de nouveaux loups qui quittent leurs meutes chaque année.
Les loups peuvent-ils s’attaquer à l’homme ?
Les interactions avec les humains vont être plus fréquentes, d’autant que certaines meutes sont très proches des activités humaines. L’une d’entre elles étant installée dans les calanques de Marseille, quasiment au cœur d’une agglomération de 2 millions d’habitants. Pour l’instant, un comportement dirigé vers l’homme reste anecdotique. Je pense toutefois que l’on va vers une familiarisation avec les humains dont on ne sait pas jusqu’où elle peut aller. Il est probable qu’un accident se produise un jour, mais cela restera a priori de l’ordre du cas individuel. L’ours est bien plus dangereux, y compris pour les bergères et les bergers que l’on expose.
Les tirs ne sont pas dissuasifs ?
Ils visent à éloigner les prédateurs des troupeaux. L’objectif n’est pas de les décourager de tout rapprochement avec les humains. Je ne suis pas certain que l’on décourage toutes les interactions en en ciblant une seule. L’Allemagne n’a pas adopté la même stratégie. Là-bas, les droits de tirs sur les loups ne sont pas ouverts pour les atteintes aux troupeaux, mais sont liés aux interactions avec l’homme. Cela témoigne d’une vraie inquiétude. En France, c’est l’inverse, sauf exception comme à Bormes-les-Mimosas (Var). Je suis convaincu que ce serait la bonne politique, si elle n’était pas entravée par le principe dérogatoire.
(1) Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée.