Qu’avez-vous pensé du film « Au nom de la terre » ?
« Le film est très émouvant. Il m’a beaucoup bouleversé. À en verser une larme. Car malheureusement, dans le monde agricole, nous avons tous, à un moment donné, été confrontés au suicide d’un de nos proches. Mais le sujet est tabou dans le milieu, par fierté ou par pudeur.
Au nom de la terre décrit bien la situation dans laquelle des agriculteurs peuvent se retrouver, à l’issue d’une course sans fin aux investissements, à toujours produire plus pour réduire les coûts et les charges, et sans rien, pas d’argent, aucun retour financier à l’arrivée. S’en suit alors le surendettement, la fatigue et les heures de travail à n’en plus finir. Et tout cela, sous le regard inquiet de sa famille, de ses voisins, de ses amies… Alors le drame survient.
Quel regard croyez-vous que le monde extérieur porte sur les agriculteurs quand il voit ce film ?
Je me dis que pour une personne extérieure, vu sous cet angle, c’est vrai qu’on peut penser que le monde paysan est un monde de fous. Cela donne ce sentiment. Qui accepterait de vendre le fruit de son travail à perte ?
Malgré cela, et fort heureusement, il faut comprendre que le métier présente aussi de très bons côtés : l’amour des bêtes et l’amour de la terre. Nous sommes fiers de savoir que, grâce à nous, des familles peuvent manger des produits de qualité, sains et sans risque, de toute nature. Le monde agricole a su évoluer au fil des décennies, il bouge, il s’adapte aux demandes des consommateurs. J’espère que les gens se disent cela aussi, qu’ils en sont conscients.
Guillaume Canet et Édouard Bergeon sont intervenus à l’issue de la séance. Qu’ont-ils dit ?
Guillaume Canet et Édouard Bergeon ont été extraordinaires. Ils ont su trouver les mots justes et appropriés, face à la détresse décrite dans le film, en expliquant bien le but de leur travail. « Édouard montre une situation inextricable qui rend les gens malades les agriculteurs eux-mêmes, nous a expliqué Guillaume Canet. Mais on peut changer, en faisant des choix de consommation différents, en préférant l’agriculteur du bout du chemin, plutôt que la nourriture pas chère du bout du monde. C’est à nous, consommateurs de faire les bons choix lors de nos achats. »
Et quels « bons » choix en l’occurrence, Guillaume Canet a-t-il évoqué ?
Guillaume Canet a donné des exemples, comme celui de ne pas acheter de tomates en hiver. Mais aussi, celui de ne pas imposer aux agriculteurs des normes sanitaires ou de bien-être animal qu’un accord de libre-échange, pris par la suite, ne respecte pas.
Le réalisateur, Édouard Bergeon, nous a également expliqué qu’il essayait de mettre en place une opération dans toutes les salles de cinéma, à la date du 29 septembre 2019, date symbolique de la Saint-Michel pour les agriculteurs (1). Elle consisterait à faire qu’un euro sur toutes les places vendues, soit prélevé ce jour-là, pour être reversé à l’association Solidarité paysans. »
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(1) La date de la Saint-Michel correspond au jour qui détermine le règlement du fermage aux propriétaires des terres. « Dans le milieu agricole, cela a toujours été comme ça. Souvent la location des terres se règle en deux échéances dans l’année : au printemps, on verse un acompte et à partir du 29 septembre, le complément. »